vendredi 10 mai 2013

Le collectionneur de timbres et la trublionne

Monsieur Psy (Ah ! Mon psy...) m'a emmené sur des chemins inattendus.

Je lui racontais comment, grâce à une conversation avec G. (merci G. !), j'avais trouvé ce qui manquait dans mon roman en cours. 

Un homme tue une femme, de façon prémédité. Et même, il la poursuit avec une rage et une détermination peu commune. Qu'est-ce qui pouvait bien justifier une pareille colère, une pareille haine ? Beaucoup d'amour, surement, mais encore ? La banale tromperie semblait bien peu crédible. C'est alors que G. me fait : "et bien, je sais pas... Imagine un collectionneur de timbres, et qu'elle lui bousille sa collection".  Une image s'est imposée à moi : un type totalement passionné par sa marotte, une collection de timbres par exemple, planquant jalousement sa collec, la bichonnant, la mettant sous clé. Et une femme qui arriverait venue de nulle part, qui lui détruirait sa collec. Oui, voilà de quoi la punir de mort ! Et lui en vouloir même par delà la mort ! J'avais le début de mon idée. Je pensais à Barbe Bleue et sa collection de femmes trucidées, les idées s'enchaînaient les unes aux autres.

Mon psy est tout sauf con (en plus il est beau, le fourbe !). Mon Barbe-Bleue, que je lui collais sous le nez d'autorité, il le classa par pertes et profits, et s'attaqua au collectionneur.

Un collectionneur, m'expliqua-t-il, c'est un obsessionnel. Il classe, range, structure son monde. Il se crée un système de valeurs rigides, un univers fermé et rassurant. "Et vous - car votre héroïne, c'est vous, n'est-ce pas - vous arrivez et vous dérangez son monde, vous secouez ses valeurs, ses certitudes. Ca vous parle ? Ca vous rappelle quelque chose ?"

J'en restais comme deux ronds de flan. Ce type m'épatait. Sur le moment, je lui ai répondu un peu à coté. J'ai brodé sur mes relations avec mes parents, bien sûr, mais j'ai vite dévié sur la sensation d'être envahie, colonisée par l'autre et son monde, ses exigences aléatoires, sa folie du contrôle. Mais en arrière plan, je pensais à E., à son monde tout bouleversé, à d'autres aussi dont j'avais dérangé quelques peu la collection de timbres. Je remontais jusqu'à ma naissance et même ma conception. Ma mère ne s'était mariée que pour échapper à sa famille, elle comptait bien désormais être libre, enfin ! Elle avait des plans assez précis, mais la trublionne que je suis a décidée de s'inviter dès le voyage de noces ! Elle sortait à peine d'une prison pour entrer dans une autre ! Je peaufinais mon entrée en choisissant de naître avec de l'avance et priver ainsi ma mère de noël. Un noël à la maternité, elle m'a souvent seriner que ça n'était pas un cadeau ! Pour ma mère, j'ai continué à être cet enfant empêcheur de tourner en rond, qui la fixait d'un regard qu'elle avait le plus grand mal à soutenir. Je la renvoyais à une vision d'elle-même qu'elle ne voulait pas voir.

En quittant la séance de psy, j'étais partagée, pour ne pas dire déchirée. Démolir les certitudes, foutre des coups de pieds dans les mondes clos, c'est plutôt sympa comme idée. J'aurais presque honte d'aimer ça tellement cela semble un brin prétentieux. Seulement, dans mon roman, mon héroïne le paye de sa vie. Et force est de constater que jusqu'à présent, déranger les collectionneurs de timbres ne m'a pas été très profitable.

Que faire quand on est une dérangeuse de collections ? Continuer ou faire autre chose ? Mais alors quoi ? Et qu'advient-il d'elle ? 


mercredi 1 mai 2013

La lectrice : une resucée

Je ne pense pas que H., en me proposant de boire un verre dimanche, pensait vivre ce que je lui avais préparé pour aujourd'hui.

D'ailleurs, au départ, il n'était même pas disponible avant une date franchement déplaisante, car singulièrement éloignée. Quand on veut on peut, m'étais-je dis. 

Un sms en amenant un autre, je lui fis entrevoir la possibilité de le recevoir chez moi, vêtue d'une simple robe de tulle blanc, légère et impudique, pour lui faire la lecture d'extraits choisis de mes écrits érotiques, à la condition expresse qu'il ne me touche pas, et qu'il n'en exprime même pas le désir. Il doutait de ma capacité à résister. Moi, pas. Il trouva un créneau pour me voir.

Il me promis du vin, je demandais à connaitre ses dégoûts et ses goûts afin de choisir les extraits en conséquence. Pour les dégoûts il me cita de grands classiques (pédophilie, zoophile et scatologie), ce qui me laissait une sacré marge pour explorer ses limites réelles. Quand on leur parle tabous, les gens pensent à des choses vraiment affreuses, et peu probables. Pour les goûts, H. m'indiqua qu'il avait des souvenirs merveilleux de sodomie, et un fantasme dont il ne savait pas s'il le réaliserait un jour : les boites échangistes. 

Quand nous nous retrouvâmes devant un verre de Pouilly, à une heure un peu précoce tout de même pour cela, il me demanda rapidement si j'avais trouvé des extraits correspondants à ce qu'il m'avait indiqué. Mais je gardais le mystère jusqu'à l'heure de la lecture. Ce qui ne tarda pas, il était impatient.

Je fis glisser la robe portefeuille que je portais sur ma nuisette de tulle, moulante à souhait, transparente jusqu'à l’indécence  et je vis à son regard admiratif qu'il n'en attendait pas tant. "Elle vous plait ? demandais-je, faussement inquiète. C'est ainsi que vous l'imaginiez ?" (oui, H. et moi nous vouvoyons). "Heu... Oui... oui... Enfin... Je l'imaginais moins... plus..."

Je pivotais pour aller m'allonger sur le lit, lui laissant découvrir ma chute de rein (mon cul dans cette robe de tulle... Ah ! On  en mangerait !), pendant qu'il restait assis sur une chaise qu'il approcha cependant à environ un mètre. Lui qui m'avait comparé à une odalisque dimanche était servi !

Je commençais par les extraits sur le sauna et boites échangistes. J'avais envie de garder la sodomie pour après, me doutant que cela lui rappellerait des souvenirs, et que cela pouvait l'inspirer plus que la découverte de situations qu'il ne pouvait qu'imaginer. Nous finirions donc en apothéose, enfin tel était mon idée. Je lui indiquais qu'il pouvait m'arrêter à tout moment, si cela devenait trop difficile.

Après les premiers extraits, H. me complimenta sur les qualités littéraires de ce qu'il entendait. Il soulignait l'originalité du lexique, et commentait d'un ton qui tâchait de prendre de la distance. "Vous voyez, me dit-il, je garde un regard littéraire, pas du tout à connotation sexuelle". 

Cependant, alors que j'en étais à un extrait où je raconte comment j'ai fait un merveilleux cunni à une adorable blondinette lors d'une de mes virées au sauna, je le senti s'émouvoir rapidement. Plongée dans mes pages, j'entendais sa respiration s'accélérer, s'affoler un peu. Je levai les yeux à la fin de l'extrait pour le découvrir tout rose, les traits un peu chiffonnés, les mains repliées en conque au niveau de son sexe. Cachait-il une érection ou cherchait-il a se toucher un peu ? Ou les deux à la fois ? 
C'est alors qu'il me demanda : "accepteriez-vous de me laisser déroger à notre règle juste deux minutes ?" Je supposais qu'il parlait de la règle de ne pas me toucher, mais, quoi qu'il en soit, je désirais aller jusqu'au bout du jeu tel qu'il était prévu. J'avais décidé de le prendre au mot : "Non". "Je vous en prie... Juste deux secondes alors ?" "Non, la règle, c'est la règle". "Mais vous savez bien que les règles sont faîtes pour êtres transgressées, surtout en France" gémit-il en gigotant et en tirant sur son pantalon devant son sexe. Je restais inflexible.

Avant de passer à la sodomie, je lui lu un extrait qui n'avait rien à voir avec ses deux propositions. Je lui lisais la Vendée, et la plage du petit pont, la scène de bisexualité masculine. Je senti rapidement que cela ne lui convenait pas, je sentais l'atmosphère se charger de gène, voir de dégoût. Ce qu'il me confirma à la fin de l'extrait. La façon qu'il eu de me dire que les hommes ne l'attirait pas du tout, le ton avec lequel il me le dit, ne me laissa aucun doute : il était choqué, il m'en voulait un peu de lui avoir imposé cela. J'avais touché à un autre tabou, et, pour tout dire, j'en étais fort aise. Je voulais voir jusqu'où allait sa sexualité, et je commençait à en cerner les limites. Et après tout, il ne m'avait pas stoppé.

J'avais sélectionné plusieurs extraits concernant la sodomie. Je ne pu en lire qu'un. C'était, il est vrai, un morceau de choix. Ma -presque - initiation. Tout en lisant, je lui jetais de temps à autre un regard. Je voyais son visage torturé par le désir, ses traits décomposés par l'excitation. Sa respiration était bruyante, précipitée, il ne savait que faire de ses jambes, les pliants et les dépliant, cherchant la position la moins inconfortable. Ses mains, posées sur son sexe, tiraillait de temps en temps l'étoffe du pantalon.

J'étais, quand à moi, d'une impassibilité parfaite. J'étais concentrée sur ma lecture, et j'aurais tout aussi bien pu ânonner le code civil, cela ne m'aurait pas fait plus d'effet. Ce que H. ne sait pas, c'est que je suis une tactile. Sans le toucher, je peux rester de marbre assez facilement. Mais frôler une main peut m'électriser. Sans compter ma volonté ferme de mener le jeu tel que prévu. Ce qui ne manquât pas de finir de le déstabiliser.

Comme il m'avait confier, après la fin de l'extrait sur la sodomie, qu'il était plus sage d'arrêter là, je le raccompagnais à la porte où il me fit part de son impression de ne pas me plaire, ce qui me fit rire. Tout à son angoisse de ne pas provoquer de désir chez moi, et à sa frustration de ne pas avoir assouvi son désir, il oublia de me remercier pour ma lecture. Je lui posais deux baisers, assez proches de la bouche, mais pas trop. Il profita alors de ce rapprochement pour me saisir par la taille, la respiration courte, et approcha sa bouche de la mienne. J'hésitais un instant. Le contact de ses mains m'émouvait, tissait un petit arc de frissons le long de mon échine, mais je résistais à l'envie de goûter ses lèvres pour voir ce que cela me ferait, pour tester si nous étions sensuellement compatible, et ouvrit la porte.

Et dire que je ne voulais pas amener les choses sur le terrain sexuel... Je ne sais qu'en penser. Je me suis particulièrement amusée aujourd’hui. J'ai ressenti une joie profonde à exciter cet homme, à tester mon pouvoir de séduction, à mener le jeu exactement comme je le souhaitais. J'ai senti la vie en moi, c'était comme un printemps intérieur. La sexualité, l'érotisme, la manipulation du désir -celui de l'autre, le mien- font partie de moi, des bases de mon rapport au monde, je crois. C'est un domaine où je me sens bien, à ma place, en harmonie, vivante. Et, finalement, je ne peux envisager une relation avec un homme si ce domaine n'est pas partagé.

Problème : j'ai la sensation d'avoir entraîné H. sur mon chemin, alors que mon but était de découvrir sa "bizarrerie". Et à vrai dire, j'ai en tête le prochain scénario érotique pour une prochaine rencontre avec H., mais pas de plan pour passer à autre chose, à la découverte de son monde à lui.













lundi 29 avril 2013

Changer ? Facile à dire !

Une des plaies humaines, psychologiquement parlant, c'est la répétition. Avez-vous remarqué que vous vous retrouvez systématiquement dans les mêmes situations ? Que même lorsque les personnes concernées semblent très différentes (d'ailleurs, au début, c'est souvent ce qui vous a plu, quelqu'un de si différent), vous vous réveillez quelques mois ou années plus tard dans la même impasse ? Et de vous exclamer : "ah oui ! Vraiment ! Tous des salauds" (ou toutes des vénales, ou tous des lâches, ou toutes des coureuses). Sous l'emballage qui change, toujours le même cadeau pourri.

Mon psy (ah ! Mon psy !) m'a conseillé un exercice. M'ouvrir à l'étrange, aller vers des gens" bizarres",  avec lesquels je me sentirais étrangère, et essayer de voir comment "ça" marche cette bête là.

La seule objection que j'eus, c'est que le "bizarre", ça me connait. Si je constituais une galerie de portraits des hommes de ma vie (tout ceux que je n'ai pas oublié, disons), ça nous ferait une sacrée cour des miracles ! Le bizarre, l'étrange, ça m'attirerait plutôt, avais-je envie de dire. Il s'agissait donc d'un autre "bizarre", d'une autre "étrangeté". 

La mission semble pourtant tentante, même si là, comme ça, on ne voit pas bien, ni comment reconnaître ce "bizarre" là, ni, à fortiori, où le trouver. Pourtant, le péril n'est peut-être pas là où l'on croit.

De façon totalement inattendu, et en tout cas fort peu préméditée, j'étais hier attablée dans un café chic, d'un quartier huppé, face à un monsieur et son Perrier tranche.

Ma première réaction, lorsque j'avais accepté le verre, avait été de le détester, et de me détester. J'avais prévu d'écrire, et je lâchais ma tâche pour boire un verre avec lui. Pourtant, personne ne me forçait à accepter, et le nombre de jours où j'ai décidé d'écrire sans arriver à m'y mettre atteint un chiffre désolant (je dirais deux fois sur trois). Autant dire que ce pauvre mec ne pourrait être rendu responsable d'un quelconque retard dans la confection de mon troisième roman que personne n'attend. 

Finalement, je me retrouvais confrontée à un dilemme cornélien, et très intime. J'ai envie de trouver un compagnon aimant, de recevoir de la tendresse et de l'attention mais... je m'accroche à ma vie, mon organisation, mes priorités, et j'en veux déjà à cet inconnu de me prendre du temps. Et pourquoi ça ? Parce que je le soupçonne déjà de vouloir piller ma vie, je me sens déjà colonisée, coincée, dépouillée de moi-même. 

Mais donc, j'ai bu ce verre avec cet inconnu. Qui me semblait des plus "bizarres".

La plus grande étrangeté, paradoxalement, n'étant pas qu'il soit originaire de la même ville du sud que moi (le truc de ouf !) et qu'il ait fait ses études dans la même autre ville du sud que moi (pas dans la même fac, évidemment, moi ayant usé mes jeans sur les bancs de la fac des pauvres voués à le rester -celle de lettres et sciences humaines, en périphérie de l'agglomération- lui ayant profité des cours de la fac des bourges voués à s'enrichir -celle de droit et d'économie, en centre ville). 

Non, finalement, la plus grande étrangeté, c'était moi. 

A ma grande satisfaction, le monsieur m'écoutait, s'intéressait à ce que je racontais. Je parlais de moi, et ça le passionnait. Il me posait nombre de questions qui le prouvait, faisait des liens. En replaçant mon expérience dans des questions plus larges, il me donnait de l'importance, ou me rattachait à son monde à lui. Je n'avais pas juste l'impression de parler de moi, de faire mon panégyrique. Non, c'était... comment dire... Une sorte d'échange ! Sauf qu'à un certain moment, j'ai ressenti une sorte d'inconfort. Je lui posais des questions sur lui, essayant de lui renvoyer la balle. Il répondait, mais, pourtant, j'avais la sensation désagréable de ne pas arriver à le faire assez parler. Je serais bien retournée dans mon rôle habituel, celui d'écoutante. Et, petit à petit, s'est instillé l'idée déplaisante que ce type, en parlant si peu de lui et en m'écoutant autant, cherchait à  me dérober quelque chose tout en cachant quelque chose. 

Pourtant, c'était assez faux : il parlait de lui sans réelle réticence. Ce qui me permettait au demeurant de faire de même. Si je faisais un petit condensé de ce que j'ai appris de lui en une heure trente, ça nous ferait un joli chapitre de roman, un beau portrait.

Faut-il donc se résoudre à voir dans ma manie d'écouter une défense ? Et si je reproche autant aux gens que je rencontre leur manque d'écoute, leur égocentrisme, n'est-ce pas une façon bien commode d'éviter de me poser les bonnes questions ? A savoir : qu'est-ce que je veux garder absolument pour moi et qui me semble mis en péril par l'autre ? Qu'est-ce que les murs et le pont-levis de ma personnalité veulent protéger ? Qui-a-t-il de si fragile à garder fermé à double tour ? Et question subsidiaire : en quoi l'autre est-il forcément fourbe ? Pourquoi dois-je partir à la quête de ce qu'il risquerait de me cacher en le faisant parler ? 

Mais il y a une chose à laquelle j'ai appris à me fier : mon instinct. Et si la lumière rouge s'était mise à clignoter à bon escient ? Si cet homme était réellement dangereux, et que je l'avais senti ?

Cet homme avait une autre caractéristique déroutante pour moi : il s'occupait de moi, de mon confort. Il se soucia de savoir si je n'avais ni trop froid ni trop chaud, s'assura que je sois régulièrement désaltérée, il me versa même ma boisson dans mon verre, comme aurait du le faire le garçon, vous savez, quand il vous verse moitié de la bouteille dans votre verre pour que vous ne vous donniez pas cette peine, tout en se gardant de tout verser d'un coup. Cet homme était aux petits soins pour moi. Je n'ai pas vraiment l'habitude de cela, c'est même assez souvent l'inverse. Je suis du genre à proposer d'aller chercher des cafés au comptoir au premier bâillement de mon vis à vis, à acheter le jus de fruit préféré de mon invité et un paquet de brosses à dent si je pense qu'il passera la nuit chez moi (j'oublie en général que je l'ai fait la fois précédente, ce qui me confère un stock confortable de brosse à dents de rechange). 
Je dois avouer que toutes ces attentions, alors même que mon monsieur du jour semblait des plus naturels, fini par m'alerter : trop, c'est trop, que fomentait ce type qui cherchait à m'enfumer avec ses manières trop polies pour être honnêtes ?

Et lorsqu'il m'expliqua sa passion coûteuse des antiquités, qui lui avait valu son divorce, sa femme comprenant mal comment des sommes conséquentes pouvaient passer en médiévaleries, les conduisant à manquer d'argent pour boucler le mois, quand il ajouta à cela, à cette dilapidation, l'exposé de son coup de poker professionnel, je fus... comment dire... Partagée, déstabilisée, interrogée sur mes motivations et mes à priori.

L'argent semblait un peu un jeu pour lui. Ca va, ca vient, rien de bien méchant. Et mon premier réflexe fût de le trouver bien léger, bien inconséquent. L'argent, c'est connu, ne pousse pas sur les arbres. Avoir vu les huissiers débouler au domicile maternel, avoir vécu avec le rmi, avoir été interdit bancaire, ne m'aide pas à trouver les questions d'argent légères ! C'est même un boulet pour moi. Je n'aime pas m'en occuper, devoir demander un délai aux impôts m'empêche de dormir, et le chiffre de mon découvert me donne des bouffées d'angoisse. Alors ce petit monsieur qui se ruine en salle des ventes, bah... C'était peut-être un escroc, non ? Pour trouver que l'argent, c'est si facile, il faut le voler, non ?

Je ne pu alors pas m'empêcher de penser à E., dont le matérialisme et la propension à accumuler, à laisser l'argent et le matériel guider sa vie, m'a parfois désespéré. Finalement, je suis plus proche de lui que de ce H. (le monsieur d'hier, s'appelle H.). Et le violent mépris que j'ai parfois ressenti pour le matérialisme de E. n'est qu'une façon différente de gérer le même mal : la peur de manquer. Lui thésaurise à perte de vie, moi je m'obstine à ne pas donner de valeur à l'accumulation parce qu'elle m'est inaccessible (une variante de "pauvre mais propre"). C'est la fameuse fable des raisins trop verts.

D'un autre coté, je trouvais que la façon de vivre de H. ne manquait pas de panache, de romanesque, et qu'il avait bien raison de s'offrir ce dont il avait envie lorsqu'il le pouvait. J'enviais sa désinvolture, tout en ne perdant pas de vue qu'il était peut-être facile d'être désinvolte avec l'argent quand on habitait le 7eme arrondissement, qu'on avait une demeure 17eme en Normandie et une paire de pompes aux pieds qui devait bien valoir 2000 euros.

Hier je me suis donc confrontée à quelqu'un de différent, une bizarrerie. Est-ce un "bizarre" habituel (et donc, après des débuts semblants bien différents, vais-je me retrouver comme d'habitude utilisée puis jetée comme une crotte, pour faire court), ou est-ce un "bizarre" selon mon psy ? Mystère. Mais en attendant, je me suis colletée avec des questions dérangeantes et surtout à ma peur de l'autre, cet autre toujours suspect de vouloir m'envahir, m'utiliser, me rouler, m'abuser. Car, au final, il s'agit bien de cela, de ma méfiance, de ma trouille, qui me conduit dans le mur assez régulièrement.  Mon plus grand défi n'est peut-être pas de trouver l'autre mais de dompter ma peur.




dimanche 21 avril 2013

Texte d'atelier : Le complexe de la profiterole

Je n'ai pas noté la consigne exacte de cet atelier d'écriture. Il s'agissait d'écrire sur le désir, ou le dégoût.


Les questions qui ne se posent pas au présent appellent toujours de mauvaises réponses.

Sera-tu là un jour ? Et alors que fera-t-on ? Si tu me rejoignais, à quoi ressembleraient nos vies ?

Seul le fantasme répond, brandissant un idéal que j'embellis à mesure qu'il devient plus incertain. Plus je t'imagine m'échapper, plus le désir devient torture.

Mais c'est peut-être comme les profiteroles. Je me suis longtemps interdit les profiteroles. Un tel dessert, croulant de glace et de sauce, c'est indécent n'est-ce pas ? J'osais seulement du bout de la pensée.
Mais un jour, je me le suis autorisé. Et j'ai découvert le choux amolli lorsque je l'espérais croustillant, la glace compacte et trop froide, la sauce chocolat écœurante. Si je m'étais offert des profiteroles plus tôt, j'aurais fait l'économie de beaucoup de frustration et d'une déception à la mesure.

Et toi ? A force de répondre à ces questions lancinantes sur un futur hypothétique, comment me semblerais-tu, le jour où tu t'offrirais ?

Tu es une profiterole pensante et parlante, et même agissante. Ces questions, je ne me les pose pas par hasard, tu m'y as amené. Peut-être te poses-tu les mêmes, à peu de chose près.
Mais je suis ici, tu es là-bas, dans deux sphères irréconciliables.

Serons-nous ? Et comment serons-nous ?

Des questions au futur, qui mériteraient le conditionnel (si ma tante en avait on l'appellerait mon oncle), des questions que ne pose aucun présent, ni le tien, ni le mien.

Seules les questions au présent méritent une réponse. Seule l'expérience immédiate de la profiterole répond au désir de profiterole. Si je n'avais pas tant imaginé les profiteroles, je les aurais sûrement aimé, avec gourmandise. Je les aurais apprécié à leur juste valeur, je ne les aurais pas comparées à un rêve de profiteroles.

Les questions qui ne se posent pas au présent ne peuvent amener que de mauvaises réponses, et leur cortège de manque, de déception et de haine.

samedi 13 avril 2013

Monsieur Psy, le dragon et l'arbre

Il est bon mon psy. Il faut dire aussi qu'il a une patiente qui a à cœur qu'il réussisse. 

La séance dernière, j'ai commencé par le remercier pour la séance précédente. Il avait débloqué ce qui commençait sérieusement à ressembler à une phobie scolaire. J'allais à l'école la peur au ventre, avec la sensation d'aller à la catastrophe quoiqu'il arrive. Je ne dormais plus. Que je réussisse ou que j'échoue, les deux options me paniquaient tout autant. 
Sa façon de poser le problème, de tracer la carte de mon territoire et de m'indiquer les chemins de traverse, de me montrer combien le dragon était redoutable et donc combien j'étais courageuse, m'avait souverainement aidé. 

Je n'en espérais pas autant concernant mon autre problème, que je lui exposais. Je me sentais déraper dans un mécanisme d'attente redoutable. Je projetais des choses et des machins, sur lesquels je n'avais aucune prise. Je m'en voulais de retourner dans cette ornière. Je me sentais hors ma vie, obsédé par la vie d'un autre, par les choix d'un autre.

Monsieur psy m'a parlé des arbres qui poussent tout tordus, parce qu'il grandissent en s'adaptant à des milieux hostiles. Ils ont peu de place pour se développer, se heurtent à d'autres arbres, bien plus gigantesques qu'eux, bien plus forts. Alors il se tortillent pour grandir quand même. Les accidents marquent l'arbre et son écorce garde de drôles de déformations, parfois difficile à interpréter, parfois pittoresques, parfois angoissantes. Mais il y a quelques chose de bien plus important dans l'arbre, quelque chose qui circule, qui vit : la sève. La sève, c'est ce qui permet à l'arbre, en dépit de ses déformations, d'aller chercher la lumière tout là haut, et de partir à l’assaut du ciel. 

Alors j'ai compris. Je pouvais quitter mes déformations, arrêter de m'obnubiler sur les terrifiants arbres voisins. Mes contorsions pour faire coïncider mes rêves, mes désirs, avec la vie de quelqu'un d'autre ne devait pas retenir mon attention. Je devais laisser mon tronc et mon écorce vivre leur étrange vie d'arbre tordu, et me concentrer sur ma sève qui ferait naître de jeunes pousses qui monteraient jusqu'au ciel, qui me rendraient grande et belle.

Mais "ma sève", qu'elle était-elle ? Qu'est-ce qui me faisait vivre, sourire, qu'est-ce qui m'apportait joie ou fierté, quoi que décide Pierre, Paul ou Jacques ? Car ce qui était moi, ce qui était ma sève, ne pouvait pas être l'autre, dépendre de l'autre, puisqu'elle lui préexistait. 

Je me suis souvenu de la joie simple que je ressens souvent en regardant les gens. Je collecte les petits signes qui me rapprochent d'eux, qui me font me sentir appartenir à la communauté humaine, mais aussi tous les petits signes qui me les montrent si étranges, si différents, si singuliers. Et c'est de cette confrontation du même et de l'autre que nait l'émotion, et l'amour de l'autre.

Je me suis souvenu de la joie simple que je ressens à la vue des oiseaux sur le canal, des chiens qui jouent et se coursent sur l'esplanade. Je sens alors l'envie de nager avec les canard, j'imite (aussi discrètement que possible) le cormoran qui se hausse du col pour, dirait-on, regarder dans l'eau d'un meilleur point de vue et, tout à coup, plonger la tête vers une proie. Et je ris du chien qui me fonce dessus, la langue pendante, et si je ne me retenais pas, je me roulerais bien par terre avec lui.

Je me suis promis de penser plus souvent à mon manuscrit pris chez un éditeur, pour me rappeler qu'il y a un domaine ou j'ai un peu de talent, et où je réussi. Et pour, à force d'y penser, sentir enfin  la fierté et la joie, qui n'osaient pas poindre trop fort encore. J'ai pensé à mon deuxième roman terminé depuis plusieurs mois et qui dormait encore dans mon ordi. Au troisième qu'il me fallait avancer et que j'avais un peu laissé de coté. Car s'il est une chose qui m'a toujours fait grandir, depuis l'enfance, c'est bien l'écriture.

Je me suis occupé de tout ça. Des gens, des canards et des chiens, de mes manuscrits.

Et l'obsession n'a plus d'intérêt désormais. J'en viens, non plus a tenter de me tordre pour m'adapter à la vie de l'autre, mais à me demander comment l'autre pourrait bien trouver sa place dans la mienne. Qu'il se débrouille, moi je fais pousser mes branches vers le ciel.




dimanche 7 avril 2013

Atelier d'écriture : Lettre à la petite sirène

Lors de l'atelier d'écriture d'hier, l'animateur nous a lu un extrait de la Lettre au père de Kafka. Je vous en recommande la lecture. Sur le net on trouve aussi une lecture d'extraits de cette lettre par Christine Angot, pour ceux qui n'aime pas lire.

Notre consigne : écrire une lettre, éventuellement faite pour ne pas être envoyée.

J'ai déjà écrit (et envoyé) ma lettre "au père", "à la mère" aussi, au demeurant. J'ai choisi autre chose. 

Chère Petite Sirène,

J'aime beaucoup ton histoire. Attention, pas celle de Disney où tu parais en rouquine inepte. Non. J'aime beaucoup ta vraie histoire, celle d'Andersen.

Tu es, chère Petite Sirène, le seul personnage de conte auquel je peux m'identifier jusqu'au bout, jusqu'à la fin. J'aime bien aussi Peau d’âne, mais, malheureusement, son histoire fini bien, elle se marie avec le Prince. Toi, chère Petite Sirène, ton histoire semble mal finir, et c'est heureux. Car, lorsqu'un conte fini bien, dans les flonflons d'un mariage et les larmes de joies, je décroche. Je ne me sens pas à la hauteur d'un heureux dénouement. Je suis jetée hors du monde du conte, hors du monde tout court, et je retourne à ma solitude et mon indignité. Moi ? Épouser le prince ? Allons bon ! 

On dit que ton histoire fini mal. Effectivement, tu te transformes en écume de mer, c'est comme si tu mourrai. On fait plus gai. Mais on fait difficilement plus vrai. Tu rejoins ainsi Le Petit Prince, autre conte que j'adore, mais lui c'est un garçon, qui rencontre une rose prétentieuse et fragile, et un formidable renard. Moi, je n'ai rencontré que des princes distraits. Ni rose, ni renard.

Avant, après l'école, je m'attardais et je jouais aux billes avec Mathias. Mathias n'est pas le premier prince distrait que je rencontre, mais c'est le premier que j'ai réussi à convaincre de jouer aux billes avec moi. Mais la fille qu'il a embrassé derrière le gymnase, ce n'est pas moi, c'est cette miniature d'Agathe. J'étais recroquevillée en haut du toboggan, ce qui me permettait de les apercevoir dans l'escalier interdit au public où ils s'étaient planqués. Mes jambes pliées sous moi me faisaient mal, mes pieds s'engourdissaient. J'étais comme toi Petite Sirène, dédaignée par le prince distrait, à souffrir mille morts dans mes jambes.

Ce soir là, pas de partie de billes, ni les suivants. Maintenant, je rentre plus tôt à la maison.

Oui, Petite Sirène, nous avons des points communs. Ce prince distrait, je ne lui en ai même pas voulu. Parce que j'ai moi aussi conscience de "ne pas en être". Comme toi, je cache une sorte de queue de poisson. Et il est bien naturel que le prince distrait aime et épouse une semblable quand toi et moi ne sommes que des imposteuses.

Moi, ce n'est pas vraiment une queue de poisson, je pense. En fait, je n'en sais rien. C'est un ensemble de choses difficiles à dire, même à toi Petite Sirène. Assurément, je n'arrive pas à la cheville de la minuscule Agathe, mais de plus, je ne suis pas de la même espèce. Je suis un monstre cachée parmi les humains. Une sirène parmi les humains si tu préfères, oui, c'est plus valorisant. Mais ça ne change pas grand chose : toi et moi devons nous taire, planquer notre queue de poisson, et laisser les humains entre eux.

Le docteur cervelle dit qu'on peut changer de conte. Ca me semble curieux, et pas très moral. Je pourrais te jeter, Petite Sirène, et choisir cette sotte de Belle au bois dormant par exemple ? Non, je ne pense pas. J'aime trop ta détermination, ton courage, et la liberté que tu prends en suivant ton désir, sans te plier à ta famille et à ta condition de sirène. Alors que la Belle au bois dormant se contente de dormir, et laisse tout le boulot au prince. 

Je te laisse, Petite Sirène, et passe le bonjour à tes sœurs de l'air.



vendredi 5 avril 2013

La canard d'Ithaque

Comme je l'ai raconté ces jours-ci, désormais, les hommes m'abordent plus facilement. Et même carrément facilement ! A deux par semaine on peut se demander s'il n'y aurait pas complot.

Mais, de même qu'une hirondelle ne fait pas le printemps (surtout cette année, qu'est-ce qu'on se les caille !), quand ça mord, c'est pas toujours du premier choix.

Remontons dans le temps, jusqu'au mec de l'expo. J'étais moyennement emballée par le physique du gars, et par son allure de vieil hippie. Et quand j'ai lu son mail, à peine de retour chez moi, la suspicion s'est amplifiée. J'avais ensoleillé sa journée, tout ça. Je le mis en garde : faire connaissance, rencontrer de nouvelles têtes, oui, mais précisais-je, je n'étais pas super open ces temps-ci. Quand il s'enthousiasma à l'idée de me revoir, et qu'il précisa combien il était impatient de me parler de ses nombreuses passions (qu'il me lista !), le doute n'était plus permis : ce type était un énième égocentrique placé sur ma route. Lorsque le lendemain matin, à 6h25, je reçu un mail qui commençait par : « mes premières pensées sont pour toi », j'ai manqué d'air.

J'ai donc renvoyé le monsieur à ses passions.

Et Monsieur Impulse alors ? Je lui ai envoyé un sms prudent, proposant que l'on fasse connaissance autour d'un verre. L'idée l'enchanta tellement qu'il me proposa de venir le rejoindre tout là-bas derrière le périf, en bout de ligne de métro, dans un endroit super : chez lui. Il me vendait le truc en disant que son appart était drôlement chouette, avec balcon (qu'est-ce que ça peut me foutre ? Je cherche pas à investir dans la pierre !), et que c'était là qu'il recevait les gens très importants pour son métier d'artiste. Une bonne adresse en somme, mondialement connu. Je n'avais plus qu'à me féliciter de ma bonne fortune et remercier le grand homme de s'intéresser à mon insignifiante personne.

Je suis peut-être vieille France, mais un inconnu qui me propose de venir chez lui direct (à Tataouine en plus), je prends ça pour une invitation à écarter les cuisses rapidement et sans manière. Probable que la bière serait tiède et que les préservatifs seraient à ma charge. Je connais la musique ! Même si c'est lui qui voulait me jouer du piano vu que c'est son instrument (et peut-être surtout du pipeau).

L'échange tourna alors à l'aigre. Et malgré les smiley qu'il utilisait à foison, je suis restée plus que dubitative quand je lu : « Tu crois que je voulais te sauter ?? Tu te prends pour un sex symbol ;) ?!? :) ». Çà restait romanesque en un sens, mais on passait de L'Astrée à Nana sans transition. Me suis pas démontée, je lui ai demandé : « pourquoi ? Tu sautes que des sex symbol ? » Ambiance, ambiance...

Résumons-nous. Il y a du changement, indéniablement. Mais plus dans la forme que dans le fond. Je me fais l'effet du vilain petit canard. J'ai quitté ma famille qui me traitait mal et dont je me sentais si différente. Depuis j'erre à la recherche de ma vraie famille, en subissant diverses avanies. Cette série de messieurs qui me courent après dans la rue ou les couloirs d'expositions ne semblent être qu'un épisode supplémentaire de l'épopée. 

On pourrait aussi penser à Ulysse et son périple. Et pendant que j'irais de Charybde en Scylla, une improbable Pénélope vieillirait en une Ithaque de légende, peinant à défaire et refaire son éternelle tapisserie.