mercredi 31 octobre 2012

Rétropective

G., après avoir lu mon dernier billet, m'a dit être passablement surpris. 

Je semblais particulièrement joyeuse, heureuse, et il avait pu s'en rendre compte de visu la veille puisqu'il avait profité d'une RTT volée pour venir me voir à Paris, tout roulait pour moi, mon histoire avec L. lui semblait tout ce qu'il y avait de plus prometteuse, et vlan, la mouche dans le lait, le billet tristoune.

G. a le don des bonnes questions, ca n'est pas la première fois que je le remarque. C'est vrai, ca, pourquoi choisir les dix minutes d'orage au milieu d'un ciel d'été ?

Ecrire, c'est mettre les choses au clair pour s'en défaire. Un peu comme on met ses affaires en ordre avant de sortir. Le dire, ca marche aussi. Il m'est souvent arrivé d'être hantée par une émotion, une sensation, et de la voir se dissoudre au fur et à mesure que j'en parlais. Mais c'est vrai pour tout le monde non ? Or, quand donc parler de cette aventure intérieure qui m'est arrivée l'autre soir quand L. m'a "abandonné lâchement" pour au moins dix minutes ? Il y a des choses que je ne dis pas, mais que j'écris. Elles sont alors bien rangées, bien ordonnées, elles sortent du chaos et deviennent inoffensives.

Mais, je dois bien reconnaître que mon billet de l'autre fois avait un autre but (au moins un autre, je suis comme les oignons, y a toujours une couche sous la couche), qui m'est apparu quand G. m'a fait remarquer que ca me ressemblait bien peu, que, au final je donnais une image bien déformée de ce que je vivais et de ce que j'étais. G. est bien placé pour savoir qu'il n'y a pas beaucoup plus enjouée, stable, et même équilibrée que moi (car connaître ses failles, c'est déjà les maîtriser).

Je sens bien que ce billet de la dernière fois, honnête et sincère au demeurant, mais un peu "hors contexte" il est vrai, était tout bien ficelé aussi pour dire à L. : "attention mon gars, si tu crois que les choses vont être faciles mon bonhomme, tu te fiches le doigt dans l'oeil". Oui, ce billet fleure bon l'avertissement dissuasif, voire la tentation de sabotage.

Va falloir surveiller ca, ma p'tite dame !


dimanche 28 octobre 2012

"Je t'abandonne lâchement'

Je sais, je vais en décevoir plus d'un. Une fois encore, je ne vais pas raconter une partie de jambes en l'air. Pourtant, j'ai de la matière, mais, allez savoir pourquoi, j'ai envie de me garder tout ca pour moi en ce moment.

L. s’apprêtait à me quitter cette après-midi, et il utilisa la formule qui sert de titre à mon article : "je vais t'abandonner lâchement". Formule qui n'est plus anodine pour moi, et que je n'utilise plus jamais, depuis que ma psy m'a expliqué plusieurs fois qu'un adulte on le quittait, on le laissait, mais on ne l'abandonnait pas. L'abandon est réservé aux enfants (aux animaux domestiques, peut-être aussi, mais ca, ma psy n'en a pas fait état). Les premières fois que cette vérité a sonnée à mes oreilles, je l'ai trouvé assez oiseuse et, pour tout dire, verbeuse. Depuis, j'ai compris. Et, comme je l'expliquai assez sentencieusement à L., abandonner un enfant, c'est le mettre en danger grave et immédiat, peut-être même en danger de mort. Un adulte est en capacité de vivre sans l'autre sans mettre en jeu ni son pronostic vital, ni sa santé mentale.

Certes. Et pourtant, L. m'avait déjà abandonné. Comme presque tous les êtres que j'ai rencontré. 

Hier soir, dans le métro, pour commencer. Il marchait à 40 cm de moi, et un malaise diffus m'envahi, puis grandit comme une ombre géante. Je sentais L. s'éloigner de moi, je le sentais loin, je me sentais seule, délaissée, dans un monde de plus en plus menaçant. Petit à petit, je ne voyais autour de moi que visages grimaçants, humains imprévisibles, mouvements brusques, et ce gouffre de 40 cm. Que je fini par franchir en glissant ma main dans la sienne, avec au ventre la terreur qu'il ne la rejette.

Plus tard, lors de la soirée où nous étions ensemble, il s'était levé pour aller se débarrasser de son assiette, et avait disparu depuis un moment vers le buffet. Sentant l'habituel sentiment d'étrangeté et de frayeur pointer son nez, je décidais d'appliquer la méthode, ma méthode, anti-abandonnite aigue. J'avais faim, javais envie d'une deuxième assiette de buffet, la seule chose à faire était donc de m'occuper de cela, plutôt que de me déconfire sur mon siège. Et le mieux était de partager mon bout de repas avec quelqu'un, aussi je repérais une amie de L. pour la rejoindre une fois mon assiette remplie. J'avais aussi le secret espoir de retrouver L. à proximité du buffet, ou en chemin.
Arrivée dans la queue pour me servir au buffet, mes affaires ne s'étaient pas arrangées. J'avais désormais envie de fuir, de prendre mes cliques et mes claques et de filer sous ma couette. Tout plutôt que de constater de visu que, effectivement L. en avait eu ras les couettes de se traîner Marionde à ses basques, ou qu'il avait trouvé distraction plus amusante, et qu'il allait bel et bien m'abandonner là, en terrain hostile, de façon violente, il allait me jeter comme une crotte, et longtemps je garderai imprimé dans ma mémoire son regard méprisant. 

Je connais tellement bien le processus que, parallèlement, la machine à remonter la pente glissante s'était mise en branle. 
Une voix bienveillante me parlait dans un coin de mon cerveau.
Rien, mais alors rien du tout, pas même un geste, un coup d'oeil, un souffle, ne pouvait accréditer l'idée que L. allait faire cela. Et même, tout me laissait présager l'inverse. En y pensant sérieusement je ne l'imaginais pas un instant se comporter de la sorte.
Nous nous étions perdu de vue depuis au moins, oh... cinq minutes. Ne pouvait-il pas aller pisser ce pauvre homme ? Ou même avoir envie de se dégourdir les jambes, ou bien papoter quelque part avec une connaissance ? 
Et surtout, en mettant les choses aux pires, et en imaginant que mes pires craintes se réalisent, non, je n'allais pas mourir en ces contrées glaciales et hostiles. Non, je n'étais pas incapable de passer la soirée peinarde ici, même sans lui, et de prendre ensuite le métro et rentrer chez moi. 
Je savais tout cela et pourtant, une peur immense me tenaillait les tripes, montait comme une lame de glace dans mes poumons me coupant le souffle.
En filigrane, je ne perdais pas de vue que l'important était de ne pas laisser cette peur avoir raison de moi, avoir raison du moment. Il me fallait la canaliser pour aller au bout sans qu'elle n’abîme rien sur son passage, et surtout pas le bon moment que je m'offrais avec L. 
Car j'en ai connu, de ces moments de panique qui se finissaient en dispute ou en fuite. Non, ca, pas question !

La seule chose qui me sauve dans ces cas là (et il se présentent régulièrement), c'est de savoir que cela va passer, et de me répéter ce que ma psy m'a dit nombre de fois : "un adulte, on ne l'abandonne pas, et vous êtes adulte". Pourtant, je fus fort dépiter lorsque j'ai réalisé que je ne me débarrasserai jamais totalement de ce sentiment de mort. Cela revient, parfois au moment où je ne m'y attends plus.

Alors, vous vous en doutez, j'ai retrouvé L. 
J'ai mangé mon assiette en compagnie de la copine, distrayant mon angoisse en bavardant avec elle. Lorsqu'elle m'a demandé par deux fois ou était passé L., j'ai répondu d'un ton dégagé que je ne savais pas, puis qu'il ne devait pas être bien loin.
Non, il n'était pas loin, et il sembla visiblement très content de me retrouver. 

Rien, ni personne, ne pourra guérir définitivement cette plaie là. Et le pire qui pourrait arriver c'est de rencontrer un sauveur qui chercherait à me préserver de ce sentiment de danger de mort, modelant ses actions en fonction de ma névrose. Car cette peur, je dois la rencontrer pour m'y colleter, la dompter, apprendre à vivre avec du mieux possible. La surmonter, comme je l'ai fait hier, mais de mieux en mieux, en me faisant de moins en moins de mal.



mercredi 24 octobre 2012

Pédagogie du détour

C'était quand même suspect. 

Cet homme, vaguement croisé deux fois en soirées il y avait déjà un brave moment, qui prenait contact comme si de rien n'était, juste au moment où il se retrouvait célibataire, et se mettait même à me causer régulièrement. 

Alors, je posais la question qui me taraudait, brutalement : "Dis, j'ai une question... tu veux me sauter ?"
Ce à quoi il répondit que non, il ne voulait pas me sauter, même si j'étais fort à son goût. Il s'intéressait à tout autre chose, à mon cerveau, mon intelligence. Je l'avais toujours intrigué, alors voilà. 

Il est probable qu'il voulait surtout ménager quelque peu ses effets (pour autant que cela était encore possible), et ne pas se prendre un râteau trop direct, là, tout de suite, sans avoir pu développer sa stratégie d'approche. Mais il m'offrit ce jour là une occasion assez rare de distraire ma peur, et de contourner quelques obstacles émotionnels. La pédagogie du détour, c'est aller au but (la notion à enseigner) en contournant les obstacles cognitifs grâce à un chemin qui semble aller ailleurs.  Je m'engouffrais donc avec ravissement dans le détour proposé, trop heureuse de jouer un peu à me faire duper. Il n'en voulait pas à mon cul ? Quelle merveilleuse nouvelle, répondais-je ! Car je ne voulais pas baiser avec lui, ni avec grand monde au demeurant, je ne rencontrais plus. Nous avons donc convenu que nous ne baiserions pas. C'était merveilleux de s'entendre ainsi si facilement sur des sujets qui fâchaient habituellement, n'était-il pas ?

Nous nous vîmes un après midi pour boire un verre dans un café. Et nous avons refait le monde pendant des heures, devant un verre plein, puis vide. Il m'offrit le verre. Je pensais ensuite que pour ménager notre jeu "nous ne sommes que potes" il eut été juste que je paye la mienne. Mais je n'ai pas vu le temps passer, et j'avais de fait oublier où nous étions, et qu'il suffisait de lever la main pour que le serveur accoure. 

Très agréablement, je pouvais rencontrer le monsieur, discuter avec lui sur le net de choses de plus en plus intimes, sans être écrasée sous le poids d'un quelconque enjeu. Planquée dans le chemin détourné, je pouvais observer le but caché, mesurer le désir que j'avais de l'atteindre, changer d'avis plusieurs fois, et surtout, très régulièrement, faire semblant de croire au détour.

Car il faut bien, à certains moments, y croire à ce détour pour qu'il fonctionne. Et j'avais grand besoin d'y croire. J'ai déjà parlé de mes fiascos avec les mecs "pas en couple". J'ai, dans ma besace, une infinité de techniques éprouvées pour faire capoter le moindre moment de plaisir avec un mec "pas en couple". Depuis le choix "malencontreux" (comme par hasard) jusqu'à l'ironie dévastatrice en passant par la posture écrasante de celle qui n'a besoin de rien, et surtout pas "d'un petit bonhomme comme toi". 

Pourtant, j'ai suffisamment exploré la planète des "hommes en couple" pour savoir qu'elle ne me réussi pas. J'en suis arrivé à ne plus rencontrer parce que je suis dans l'incapacité de rencontrer des hommes qui me conviennent. "En couple", je n'en veux plus, j'en suis dégoûtée. "Pas en couple" ca ne fonctionne jamais. Et quand je dis que ca ne fonctionne jamais, je ne parle pas d'une histoire au long court, de cette chose aussi étrange et inaccessible pour moi qu'une vraie histoire sentimentale (je sais, il parait que ca existe, dans les livres non ? Dans les films ? Enfin, en tout cas, dans la vraie vie ca fait tellement longtemps que ca ne m'est pas arrivé que je doute de l’existence de cette légende urbaine. Je ne compte bien entendu pas là dedans mes histoires parfois passionnelles avec des hommes "en couple", ca, ce ne sont justement que des détours, pas de vraies histoires affreusement engageantes). Je parle donc, déjà, d'une rencontre câline, enfin de plusieurs, attendu que les one shot, c'est parfois bien commode, mais ca n'est pas un but en soi. 

Pour le reste, je préfère ne pas y penser, puisque c'est une légende urbaine, donc, comme je le disais plus haut. Et puisque c'est bien cela qui me fait me terrer dans mes histoires à la con avec ma flopée de mec "en couple". En voilà bien qui ne m'envahiront pas, ne me happeront pas à leur seul service (il y a déjà une préposée), ne me causeront pas d'aller passer huit jours chez leur mère, ou, pire, ne me demanderont pas de m'occuper de leurs gosses pendant les vacances, ne me feront pas culpabiliser d'aller à un atelier d'écriture le samedi et me coucher à 21h00, ne me regarderont pas d'un oeil suspicieux quand je goûte pantagruelliquement, ne trouverons rien à redire si je peins MES chiottes en rose ou MA cuisine en violet, ou si je passe mon dimanche à écrire, en parlant tout haut et pouffant de rire toute seule comme une demeurée. En voilà bien qui ne me demanderont pas de comptes sur mes dépenses, mes sorties et heures de retours, mes goûts étranges, ma flemmardise. Qui ne m’entendront pas ronfler la nuit, qui ne s'occuperont pas de mon linge salle, ne verront pas mes poils repousser, mes cheveux boucher le lavabo, mes draps tachés quand mon tampon a débordé, la vaisselle que j'oublie dans l'évier, mes repas de pain/fromage parce que ca fait chier de cuisiner, etc...

Mon dieu, ca y est, j'étouffe... 

Et donc, me voilà privée de câlins pour cause d'incompatibilité totale avec les hommes. 



Autant le dire, j'ai joui assez régulièrement avec L. (appelons donc le L., même si ce n'est pas la bonne lettre, car elle est déjà prise) de ce petit jeu. J'ai profité de nombreuses occasions de lui rappeler notre contrat de départ : pas de sexe. Lui, insidieusement, ramenait régulièrement le sujet sur le tapis. Finalement, baiser ou pas, ca n'était pas l'important, n'est-ce pas ? Lors, donc, pourquoi ne pas baiser, en plus du reste ? Que nenni, que nenni. En fait, outre le détour que cela me permettait, j'éprouvais une joie un peu taquine à le prendre à son propre piège. Après tout, c'était bien lui qui avait dit qu'il ne voulait pas de moi, non ? Alors rame, mon gars !

Je lui rappelais encore notre feuille de route (pas de sexe) quand, allongés sur mon lit pour un câlin sans sexe, puisque je lui avais fait état de mon envie de câlins chastes, et qu'il s'était déclaré bon pour ce service, nos caresses devenaient visiblement assez sexuelles. Cette histoire de câlin sans sexe ne tenait bien évidemment pas la route, autrement que sur le papier, autrement que dans le monde des enfants qui jouent à "on dirait que je serais le docteur". Mais y croire, même à moitié, même pas très sérieusement, c'était pour moi le détour nécessaire pour arriver à passer un moment intime et  réussi avec un homme "pas en couple".

Mais finalement la séduction, n'est-ce pas en quelque sorte toujours une pédagogie du détour ? Et l'inverse étant vrai, la pédagogie du détour, n'est-ce pas l'art de séduire ? Car il y a, dans les deux cas, cette tentation de la manipulation acceptée. On sait où l'on veut nous mener, et d'ailleurs, c'est là qu'on veut aller aussi, mais on fait mine de croire autre chose, de croire au détour dans lequel on nous embarque. La limite de l'exercice étant la vraie manipulation, ou la démagogie, quand le détour n'est plus seulement une agréable et intelligente distraction où personne n'est vraiment dupe, mais une façon pour le séducteur d'imposer son but.

J'étais confortablement installée dans les bras de L., le tête sur son torse, face à l'échec total de notre engagement de départ (pour mémoire : pas de sexe), lorsqu'il me traita gentiment de "voyoute". Je demandais des éclaircissements. Moi ? Voyoute ? Comment ca ? Mais il ne m'expliqua pas. Alors je niais, avec malgré tout la sensation qu'une certaine mauvaise foi était à l'oeuvre. La mienne, ou la sienne ? Moi, voyoute ? Je ne voyais vraiment pas ce qui lui permettait de dire ca. Mais un doute s'était insinué en moi. Etait-ce bien lui qui m'avais mené dans le détour ? Ou avait-il finalement la sensation d'avoir été mené par le bout du nez ?