vendredi 10 mai 2013

Le collectionneur de timbres et la trublionne

Monsieur Psy (Ah ! Mon psy...) m'a emmené sur des chemins inattendus.

Je lui racontais comment, grâce à une conversation avec G. (merci G. !), j'avais trouvé ce qui manquait dans mon roman en cours. 

Un homme tue une femme, de façon prémédité. Et même, il la poursuit avec une rage et une détermination peu commune. Qu'est-ce qui pouvait bien justifier une pareille colère, une pareille haine ? Beaucoup d'amour, surement, mais encore ? La banale tromperie semblait bien peu crédible. C'est alors que G. me fait : "et bien, je sais pas... Imagine un collectionneur de timbres, et qu'elle lui bousille sa collection".  Une image s'est imposée à moi : un type totalement passionné par sa marotte, une collection de timbres par exemple, planquant jalousement sa collec, la bichonnant, la mettant sous clé. Et une femme qui arriverait venue de nulle part, qui lui détruirait sa collec. Oui, voilà de quoi la punir de mort ! Et lui en vouloir même par delà la mort ! J'avais le début de mon idée. Je pensais à Barbe Bleue et sa collection de femmes trucidées, les idées s'enchaînaient les unes aux autres.

Mon psy est tout sauf con (en plus il est beau, le fourbe !). Mon Barbe-Bleue, que je lui collais sous le nez d'autorité, il le classa par pertes et profits, et s'attaqua au collectionneur.

Un collectionneur, m'expliqua-t-il, c'est un obsessionnel. Il classe, range, structure son monde. Il se crée un système de valeurs rigides, un univers fermé et rassurant. "Et vous - car votre héroïne, c'est vous, n'est-ce pas - vous arrivez et vous dérangez son monde, vous secouez ses valeurs, ses certitudes. Ca vous parle ? Ca vous rappelle quelque chose ?"

J'en restais comme deux ronds de flan. Ce type m'épatait. Sur le moment, je lui ai répondu un peu à coté. J'ai brodé sur mes relations avec mes parents, bien sûr, mais j'ai vite dévié sur la sensation d'être envahie, colonisée par l'autre et son monde, ses exigences aléatoires, sa folie du contrôle. Mais en arrière plan, je pensais à E., à son monde tout bouleversé, à d'autres aussi dont j'avais dérangé quelques peu la collection de timbres. Je remontais jusqu'à ma naissance et même ma conception. Ma mère ne s'était mariée que pour échapper à sa famille, elle comptait bien désormais être libre, enfin ! Elle avait des plans assez précis, mais la trublionne que je suis a décidée de s'inviter dès le voyage de noces ! Elle sortait à peine d'une prison pour entrer dans une autre ! Je peaufinais mon entrée en choisissant de naître avec de l'avance et priver ainsi ma mère de noël. Un noël à la maternité, elle m'a souvent seriner que ça n'était pas un cadeau ! Pour ma mère, j'ai continué à être cet enfant empêcheur de tourner en rond, qui la fixait d'un regard qu'elle avait le plus grand mal à soutenir. Je la renvoyais à une vision d'elle-même qu'elle ne voulait pas voir.

En quittant la séance de psy, j'étais partagée, pour ne pas dire déchirée. Démolir les certitudes, foutre des coups de pieds dans les mondes clos, c'est plutôt sympa comme idée. J'aurais presque honte d'aimer ça tellement cela semble un brin prétentieux. Seulement, dans mon roman, mon héroïne le paye de sa vie. Et force est de constater que jusqu'à présent, déranger les collectionneurs de timbres ne m'a pas été très profitable.

Que faire quand on est une dérangeuse de collections ? Continuer ou faire autre chose ? Mais alors quoi ? Et qu'advient-il d'elle ? 


mercredi 1 mai 2013

La lectrice : une resucée

Je ne pense pas que H., en me proposant de boire un verre dimanche, pensait vivre ce que je lui avais préparé pour aujourd'hui.

D'ailleurs, au départ, il n'était même pas disponible avant une date franchement déplaisante, car singulièrement éloignée. Quand on veut on peut, m'étais-je dis. 

Un sms en amenant un autre, je lui fis entrevoir la possibilité de le recevoir chez moi, vêtue d'une simple robe de tulle blanc, légère et impudique, pour lui faire la lecture d'extraits choisis de mes écrits érotiques, à la condition expresse qu'il ne me touche pas, et qu'il n'en exprime même pas le désir. Il doutait de ma capacité à résister. Moi, pas. Il trouva un créneau pour me voir.

Il me promis du vin, je demandais à connaitre ses dégoûts et ses goûts afin de choisir les extraits en conséquence. Pour les dégoûts il me cita de grands classiques (pédophilie, zoophile et scatologie), ce qui me laissait une sacré marge pour explorer ses limites réelles. Quand on leur parle tabous, les gens pensent à des choses vraiment affreuses, et peu probables. Pour les goûts, H. m'indiqua qu'il avait des souvenirs merveilleux de sodomie, et un fantasme dont il ne savait pas s'il le réaliserait un jour : les boites échangistes. 

Quand nous nous retrouvâmes devant un verre de Pouilly, à une heure un peu précoce tout de même pour cela, il me demanda rapidement si j'avais trouvé des extraits correspondants à ce qu'il m'avait indiqué. Mais je gardais le mystère jusqu'à l'heure de la lecture. Ce qui ne tarda pas, il était impatient.

Je fis glisser la robe portefeuille que je portais sur ma nuisette de tulle, moulante à souhait, transparente jusqu'à l’indécence  et je vis à son regard admiratif qu'il n'en attendait pas tant. "Elle vous plait ? demandais-je, faussement inquiète. C'est ainsi que vous l'imaginiez ?" (oui, H. et moi nous vouvoyons). "Heu... Oui... oui... Enfin... Je l'imaginais moins... plus..."

Je pivotais pour aller m'allonger sur le lit, lui laissant découvrir ma chute de rein (mon cul dans cette robe de tulle... Ah ! On  en mangerait !), pendant qu'il restait assis sur une chaise qu'il approcha cependant à environ un mètre. Lui qui m'avait comparé à une odalisque dimanche était servi !

Je commençais par les extraits sur le sauna et boites échangistes. J'avais envie de garder la sodomie pour après, me doutant que cela lui rappellerait des souvenirs, et que cela pouvait l'inspirer plus que la découverte de situations qu'il ne pouvait qu'imaginer. Nous finirions donc en apothéose, enfin tel était mon idée. Je lui indiquais qu'il pouvait m'arrêter à tout moment, si cela devenait trop difficile.

Après les premiers extraits, H. me complimenta sur les qualités littéraires de ce qu'il entendait. Il soulignait l'originalité du lexique, et commentait d'un ton qui tâchait de prendre de la distance. "Vous voyez, me dit-il, je garde un regard littéraire, pas du tout à connotation sexuelle". 

Cependant, alors que j'en étais à un extrait où je raconte comment j'ai fait un merveilleux cunni à une adorable blondinette lors d'une de mes virées au sauna, je le senti s'émouvoir rapidement. Plongée dans mes pages, j'entendais sa respiration s'accélérer, s'affoler un peu. Je levai les yeux à la fin de l'extrait pour le découvrir tout rose, les traits un peu chiffonnés, les mains repliées en conque au niveau de son sexe. Cachait-il une érection ou cherchait-il a se toucher un peu ? Ou les deux à la fois ? 
C'est alors qu'il me demanda : "accepteriez-vous de me laisser déroger à notre règle juste deux minutes ?" Je supposais qu'il parlait de la règle de ne pas me toucher, mais, quoi qu'il en soit, je désirais aller jusqu'au bout du jeu tel qu'il était prévu. J'avais décidé de le prendre au mot : "Non". "Je vous en prie... Juste deux secondes alors ?" "Non, la règle, c'est la règle". "Mais vous savez bien que les règles sont faîtes pour êtres transgressées, surtout en France" gémit-il en gigotant et en tirant sur son pantalon devant son sexe. Je restais inflexible.

Avant de passer à la sodomie, je lui lu un extrait qui n'avait rien à voir avec ses deux propositions. Je lui lisais la Vendée, et la plage du petit pont, la scène de bisexualité masculine. Je senti rapidement que cela ne lui convenait pas, je sentais l'atmosphère se charger de gène, voir de dégoût. Ce qu'il me confirma à la fin de l'extrait. La façon qu'il eu de me dire que les hommes ne l'attirait pas du tout, le ton avec lequel il me le dit, ne me laissa aucun doute : il était choqué, il m'en voulait un peu de lui avoir imposé cela. J'avais touché à un autre tabou, et, pour tout dire, j'en étais fort aise. Je voulais voir jusqu'où allait sa sexualité, et je commençait à en cerner les limites. Et après tout, il ne m'avait pas stoppé.

J'avais sélectionné plusieurs extraits concernant la sodomie. Je ne pu en lire qu'un. C'était, il est vrai, un morceau de choix. Ma -presque - initiation. Tout en lisant, je lui jetais de temps à autre un regard. Je voyais son visage torturé par le désir, ses traits décomposés par l'excitation. Sa respiration était bruyante, précipitée, il ne savait que faire de ses jambes, les pliants et les dépliant, cherchant la position la moins inconfortable. Ses mains, posées sur son sexe, tiraillait de temps en temps l'étoffe du pantalon.

J'étais, quand à moi, d'une impassibilité parfaite. J'étais concentrée sur ma lecture, et j'aurais tout aussi bien pu ânonner le code civil, cela ne m'aurait pas fait plus d'effet. Ce que H. ne sait pas, c'est que je suis une tactile. Sans le toucher, je peux rester de marbre assez facilement. Mais frôler une main peut m'électriser. Sans compter ma volonté ferme de mener le jeu tel que prévu. Ce qui ne manquât pas de finir de le déstabiliser.

Comme il m'avait confier, après la fin de l'extrait sur la sodomie, qu'il était plus sage d'arrêter là, je le raccompagnais à la porte où il me fit part de son impression de ne pas me plaire, ce qui me fit rire. Tout à son angoisse de ne pas provoquer de désir chez moi, et à sa frustration de ne pas avoir assouvi son désir, il oublia de me remercier pour ma lecture. Je lui posais deux baisers, assez proches de la bouche, mais pas trop. Il profita alors de ce rapprochement pour me saisir par la taille, la respiration courte, et approcha sa bouche de la mienne. J'hésitais un instant. Le contact de ses mains m'émouvait, tissait un petit arc de frissons le long de mon échine, mais je résistais à l'envie de goûter ses lèvres pour voir ce que cela me ferait, pour tester si nous étions sensuellement compatible, et ouvrit la porte.

Et dire que je ne voulais pas amener les choses sur le terrain sexuel... Je ne sais qu'en penser. Je me suis particulièrement amusée aujourd’hui. J'ai ressenti une joie profonde à exciter cet homme, à tester mon pouvoir de séduction, à mener le jeu exactement comme je le souhaitais. J'ai senti la vie en moi, c'était comme un printemps intérieur. La sexualité, l'érotisme, la manipulation du désir -celui de l'autre, le mien- font partie de moi, des bases de mon rapport au monde, je crois. C'est un domaine où je me sens bien, à ma place, en harmonie, vivante. Et, finalement, je ne peux envisager une relation avec un homme si ce domaine n'est pas partagé.

Problème : j'ai la sensation d'avoir entraîné H. sur mon chemin, alors que mon but était de découvrir sa "bizarrerie". Et à vrai dire, j'ai en tête le prochain scénario érotique pour une prochaine rencontre avec H., mais pas de plan pour passer à autre chose, à la découverte de son monde à lui.













lundi 29 avril 2013

Changer ? Facile à dire !

Une des plaies humaines, psychologiquement parlant, c'est la répétition. Avez-vous remarqué que vous vous retrouvez systématiquement dans les mêmes situations ? Que même lorsque les personnes concernées semblent très différentes (d'ailleurs, au début, c'est souvent ce qui vous a plu, quelqu'un de si différent), vous vous réveillez quelques mois ou années plus tard dans la même impasse ? Et de vous exclamer : "ah oui ! Vraiment ! Tous des salauds" (ou toutes des vénales, ou tous des lâches, ou toutes des coureuses). Sous l'emballage qui change, toujours le même cadeau pourri.

Mon psy (ah ! Mon psy !) m'a conseillé un exercice. M'ouvrir à l'étrange, aller vers des gens" bizarres",  avec lesquels je me sentirais étrangère, et essayer de voir comment "ça" marche cette bête là.

La seule objection que j'eus, c'est que le "bizarre", ça me connait. Si je constituais une galerie de portraits des hommes de ma vie (tout ceux que je n'ai pas oublié, disons), ça nous ferait une sacrée cour des miracles ! Le bizarre, l'étrange, ça m'attirerait plutôt, avais-je envie de dire. Il s'agissait donc d'un autre "bizarre", d'une autre "étrangeté". 

La mission semble pourtant tentante, même si là, comme ça, on ne voit pas bien, ni comment reconnaître ce "bizarre" là, ni, à fortiori, où le trouver. Pourtant, le péril n'est peut-être pas là où l'on croit.

De façon totalement inattendu, et en tout cas fort peu préméditée, j'étais hier attablée dans un café chic, d'un quartier huppé, face à un monsieur et son Perrier tranche.

Ma première réaction, lorsque j'avais accepté le verre, avait été de le détester, et de me détester. J'avais prévu d'écrire, et je lâchais ma tâche pour boire un verre avec lui. Pourtant, personne ne me forçait à accepter, et le nombre de jours où j'ai décidé d'écrire sans arriver à m'y mettre atteint un chiffre désolant (je dirais deux fois sur trois). Autant dire que ce pauvre mec ne pourrait être rendu responsable d'un quelconque retard dans la confection de mon troisième roman que personne n'attend. 

Finalement, je me retrouvais confrontée à un dilemme cornélien, et très intime. J'ai envie de trouver un compagnon aimant, de recevoir de la tendresse et de l'attention mais... je m'accroche à ma vie, mon organisation, mes priorités, et j'en veux déjà à cet inconnu de me prendre du temps. Et pourquoi ça ? Parce que je le soupçonne déjà de vouloir piller ma vie, je me sens déjà colonisée, coincée, dépouillée de moi-même. 

Mais donc, j'ai bu ce verre avec cet inconnu. Qui me semblait des plus "bizarres".

La plus grande étrangeté, paradoxalement, n'étant pas qu'il soit originaire de la même ville du sud que moi (le truc de ouf !) et qu'il ait fait ses études dans la même autre ville du sud que moi (pas dans la même fac, évidemment, moi ayant usé mes jeans sur les bancs de la fac des pauvres voués à le rester -celle de lettres et sciences humaines, en périphérie de l'agglomération- lui ayant profité des cours de la fac des bourges voués à s'enrichir -celle de droit et d'économie, en centre ville). 

Non, finalement, la plus grande étrangeté, c'était moi. 

A ma grande satisfaction, le monsieur m'écoutait, s'intéressait à ce que je racontais. Je parlais de moi, et ça le passionnait. Il me posait nombre de questions qui le prouvait, faisait des liens. En replaçant mon expérience dans des questions plus larges, il me donnait de l'importance, ou me rattachait à son monde à lui. Je n'avais pas juste l'impression de parler de moi, de faire mon panégyrique. Non, c'était... comment dire... Une sorte d'échange ! Sauf qu'à un certain moment, j'ai ressenti une sorte d'inconfort. Je lui posais des questions sur lui, essayant de lui renvoyer la balle. Il répondait, mais, pourtant, j'avais la sensation désagréable de ne pas arriver à le faire assez parler. Je serais bien retournée dans mon rôle habituel, celui d'écoutante. Et, petit à petit, s'est instillé l'idée déplaisante que ce type, en parlant si peu de lui et en m'écoutant autant, cherchait à  me dérober quelque chose tout en cachant quelque chose. 

Pourtant, c'était assez faux : il parlait de lui sans réelle réticence. Ce qui me permettait au demeurant de faire de même. Si je faisais un petit condensé de ce que j'ai appris de lui en une heure trente, ça nous ferait un joli chapitre de roman, un beau portrait.

Faut-il donc se résoudre à voir dans ma manie d'écouter une défense ? Et si je reproche autant aux gens que je rencontre leur manque d'écoute, leur égocentrisme, n'est-ce pas une façon bien commode d'éviter de me poser les bonnes questions ? A savoir : qu'est-ce que je veux garder absolument pour moi et qui me semble mis en péril par l'autre ? Qu'est-ce que les murs et le pont-levis de ma personnalité veulent protéger ? Qui-a-t-il de si fragile à garder fermé à double tour ? Et question subsidiaire : en quoi l'autre est-il forcément fourbe ? Pourquoi dois-je partir à la quête de ce qu'il risquerait de me cacher en le faisant parler ? 

Mais il y a une chose à laquelle j'ai appris à me fier : mon instinct. Et si la lumière rouge s'était mise à clignoter à bon escient ? Si cet homme était réellement dangereux, et que je l'avais senti ?

Cet homme avait une autre caractéristique déroutante pour moi : il s'occupait de moi, de mon confort. Il se soucia de savoir si je n'avais ni trop froid ni trop chaud, s'assura que je sois régulièrement désaltérée, il me versa même ma boisson dans mon verre, comme aurait du le faire le garçon, vous savez, quand il vous verse moitié de la bouteille dans votre verre pour que vous ne vous donniez pas cette peine, tout en se gardant de tout verser d'un coup. Cet homme était aux petits soins pour moi. Je n'ai pas vraiment l'habitude de cela, c'est même assez souvent l'inverse. Je suis du genre à proposer d'aller chercher des cafés au comptoir au premier bâillement de mon vis à vis, à acheter le jus de fruit préféré de mon invité et un paquet de brosses à dent si je pense qu'il passera la nuit chez moi (j'oublie en général que je l'ai fait la fois précédente, ce qui me confère un stock confortable de brosse à dents de rechange). 
Je dois avouer que toutes ces attentions, alors même que mon monsieur du jour semblait des plus naturels, fini par m'alerter : trop, c'est trop, que fomentait ce type qui cherchait à m'enfumer avec ses manières trop polies pour être honnêtes ?

Et lorsqu'il m'expliqua sa passion coûteuse des antiquités, qui lui avait valu son divorce, sa femme comprenant mal comment des sommes conséquentes pouvaient passer en médiévaleries, les conduisant à manquer d'argent pour boucler le mois, quand il ajouta à cela, à cette dilapidation, l'exposé de son coup de poker professionnel, je fus... comment dire... Partagée, déstabilisée, interrogée sur mes motivations et mes à priori.

L'argent semblait un peu un jeu pour lui. Ca va, ca vient, rien de bien méchant. Et mon premier réflexe fût de le trouver bien léger, bien inconséquent. L'argent, c'est connu, ne pousse pas sur les arbres. Avoir vu les huissiers débouler au domicile maternel, avoir vécu avec le rmi, avoir été interdit bancaire, ne m'aide pas à trouver les questions d'argent légères ! C'est même un boulet pour moi. Je n'aime pas m'en occuper, devoir demander un délai aux impôts m'empêche de dormir, et le chiffre de mon découvert me donne des bouffées d'angoisse. Alors ce petit monsieur qui se ruine en salle des ventes, bah... C'était peut-être un escroc, non ? Pour trouver que l'argent, c'est si facile, il faut le voler, non ?

Je ne pu alors pas m'empêcher de penser à E., dont le matérialisme et la propension à accumuler, à laisser l'argent et le matériel guider sa vie, m'a parfois désespéré. Finalement, je suis plus proche de lui que de ce H. (le monsieur d'hier, s'appelle H.). Et le violent mépris que j'ai parfois ressenti pour le matérialisme de E. n'est qu'une façon différente de gérer le même mal : la peur de manquer. Lui thésaurise à perte de vie, moi je m'obstine à ne pas donner de valeur à l'accumulation parce qu'elle m'est inaccessible (une variante de "pauvre mais propre"). C'est la fameuse fable des raisins trop verts.

D'un autre coté, je trouvais que la façon de vivre de H. ne manquait pas de panache, de romanesque, et qu'il avait bien raison de s'offrir ce dont il avait envie lorsqu'il le pouvait. J'enviais sa désinvolture, tout en ne perdant pas de vue qu'il était peut-être facile d'être désinvolte avec l'argent quand on habitait le 7eme arrondissement, qu'on avait une demeure 17eme en Normandie et une paire de pompes aux pieds qui devait bien valoir 2000 euros.

Hier je me suis donc confrontée à quelqu'un de différent, une bizarrerie. Est-ce un "bizarre" habituel (et donc, après des débuts semblants bien différents, vais-je me retrouver comme d'habitude utilisée puis jetée comme une crotte, pour faire court), ou est-ce un "bizarre" selon mon psy ? Mystère. Mais en attendant, je me suis colletée avec des questions dérangeantes et surtout à ma peur de l'autre, cet autre toujours suspect de vouloir m'envahir, m'utiliser, me rouler, m'abuser. Car, au final, il s'agit bien de cela, de ma méfiance, de ma trouille, qui me conduit dans le mur assez régulièrement.  Mon plus grand défi n'est peut-être pas de trouver l'autre mais de dompter ma peur.




dimanche 21 avril 2013

Texte d'atelier : Le complexe de la profiterole

Je n'ai pas noté la consigne exacte de cet atelier d'écriture. Il s'agissait d'écrire sur le désir, ou le dégoût.


Les questions qui ne se posent pas au présent appellent toujours de mauvaises réponses.

Sera-tu là un jour ? Et alors que fera-t-on ? Si tu me rejoignais, à quoi ressembleraient nos vies ?

Seul le fantasme répond, brandissant un idéal que j'embellis à mesure qu'il devient plus incertain. Plus je t'imagine m'échapper, plus le désir devient torture.

Mais c'est peut-être comme les profiteroles. Je me suis longtemps interdit les profiteroles. Un tel dessert, croulant de glace et de sauce, c'est indécent n'est-ce pas ? J'osais seulement du bout de la pensée.
Mais un jour, je me le suis autorisé. Et j'ai découvert le choux amolli lorsque je l'espérais croustillant, la glace compacte et trop froide, la sauce chocolat écœurante. Si je m'étais offert des profiteroles plus tôt, j'aurais fait l'économie de beaucoup de frustration et d'une déception à la mesure.

Et toi ? A force de répondre à ces questions lancinantes sur un futur hypothétique, comment me semblerais-tu, le jour où tu t'offrirais ?

Tu es une profiterole pensante et parlante, et même agissante. Ces questions, je ne me les pose pas par hasard, tu m'y as amené. Peut-être te poses-tu les mêmes, à peu de chose près.
Mais je suis ici, tu es là-bas, dans deux sphères irréconciliables.

Serons-nous ? Et comment serons-nous ?

Des questions au futur, qui mériteraient le conditionnel (si ma tante en avait on l'appellerait mon oncle), des questions que ne pose aucun présent, ni le tien, ni le mien.

Seules les questions au présent méritent une réponse. Seule l'expérience immédiate de la profiterole répond au désir de profiterole. Si je n'avais pas tant imaginé les profiteroles, je les aurais sûrement aimé, avec gourmandise. Je les aurais apprécié à leur juste valeur, je ne les aurais pas comparées à un rêve de profiteroles.

Les questions qui ne se posent pas au présent ne peuvent amener que de mauvaises réponses, et leur cortège de manque, de déception et de haine.

samedi 13 avril 2013

Monsieur Psy, le dragon et l'arbre

Il est bon mon psy. Il faut dire aussi qu'il a une patiente qui a à cœur qu'il réussisse. 

La séance dernière, j'ai commencé par le remercier pour la séance précédente. Il avait débloqué ce qui commençait sérieusement à ressembler à une phobie scolaire. J'allais à l'école la peur au ventre, avec la sensation d'aller à la catastrophe quoiqu'il arrive. Je ne dormais plus. Que je réussisse ou que j'échoue, les deux options me paniquaient tout autant. 
Sa façon de poser le problème, de tracer la carte de mon territoire et de m'indiquer les chemins de traverse, de me montrer combien le dragon était redoutable et donc combien j'étais courageuse, m'avait souverainement aidé. 

Je n'en espérais pas autant concernant mon autre problème, que je lui exposais. Je me sentais déraper dans un mécanisme d'attente redoutable. Je projetais des choses et des machins, sur lesquels je n'avais aucune prise. Je m'en voulais de retourner dans cette ornière. Je me sentais hors ma vie, obsédé par la vie d'un autre, par les choix d'un autre.

Monsieur psy m'a parlé des arbres qui poussent tout tordus, parce qu'il grandissent en s'adaptant à des milieux hostiles. Ils ont peu de place pour se développer, se heurtent à d'autres arbres, bien plus gigantesques qu'eux, bien plus forts. Alors il se tortillent pour grandir quand même. Les accidents marquent l'arbre et son écorce garde de drôles de déformations, parfois difficile à interpréter, parfois pittoresques, parfois angoissantes. Mais il y a quelques chose de bien plus important dans l'arbre, quelque chose qui circule, qui vit : la sève. La sève, c'est ce qui permet à l'arbre, en dépit de ses déformations, d'aller chercher la lumière tout là haut, et de partir à l’assaut du ciel. 

Alors j'ai compris. Je pouvais quitter mes déformations, arrêter de m'obnubiler sur les terrifiants arbres voisins. Mes contorsions pour faire coïncider mes rêves, mes désirs, avec la vie de quelqu'un d'autre ne devait pas retenir mon attention. Je devais laisser mon tronc et mon écorce vivre leur étrange vie d'arbre tordu, et me concentrer sur ma sève qui ferait naître de jeunes pousses qui monteraient jusqu'au ciel, qui me rendraient grande et belle.

Mais "ma sève", qu'elle était-elle ? Qu'est-ce qui me faisait vivre, sourire, qu'est-ce qui m'apportait joie ou fierté, quoi que décide Pierre, Paul ou Jacques ? Car ce qui était moi, ce qui était ma sève, ne pouvait pas être l'autre, dépendre de l'autre, puisqu'elle lui préexistait. 

Je me suis souvenu de la joie simple que je ressens souvent en regardant les gens. Je collecte les petits signes qui me rapprochent d'eux, qui me font me sentir appartenir à la communauté humaine, mais aussi tous les petits signes qui me les montrent si étranges, si différents, si singuliers. Et c'est de cette confrontation du même et de l'autre que nait l'émotion, et l'amour de l'autre.

Je me suis souvenu de la joie simple que je ressens à la vue des oiseaux sur le canal, des chiens qui jouent et se coursent sur l'esplanade. Je sens alors l'envie de nager avec les canard, j'imite (aussi discrètement que possible) le cormoran qui se hausse du col pour, dirait-on, regarder dans l'eau d'un meilleur point de vue et, tout à coup, plonger la tête vers une proie. Et je ris du chien qui me fonce dessus, la langue pendante, et si je ne me retenais pas, je me roulerais bien par terre avec lui.

Je me suis promis de penser plus souvent à mon manuscrit pris chez un éditeur, pour me rappeler qu'il y a un domaine ou j'ai un peu de talent, et où je réussi. Et pour, à force d'y penser, sentir enfin  la fierté et la joie, qui n'osaient pas poindre trop fort encore. J'ai pensé à mon deuxième roman terminé depuis plusieurs mois et qui dormait encore dans mon ordi. Au troisième qu'il me fallait avancer et que j'avais un peu laissé de coté. Car s'il est une chose qui m'a toujours fait grandir, depuis l'enfance, c'est bien l'écriture.

Je me suis occupé de tout ça. Des gens, des canards et des chiens, de mes manuscrits.

Et l'obsession n'a plus d'intérêt désormais. J'en viens, non plus a tenter de me tordre pour m'adapter à la vie de l'autre, mais à me demander comment l'autre pourrait bien trouver sa place dans la mienne. Qu'il se débrouille, moi je fais pousser mes branches vers le ciel.




dimanche 7 avril 2013

Atelier d'écriture : Lettre à la petite sirène

Lors de l'atelier d'écriture d'hier, l'animateur nous a lu un extrait de la Lettre au père de Kafka. Je vous en recommande la lecture. Sur le net on trouve aussi une lecture d'extraits de cette lettre par Christine Angot, pour ceux qui n'aime pas lire.

Notre consigne : écrire une lettre, éventuellement faite pour ne pas être envoyée.

J'ai déjà écrit (et envoyé) ma lettre "au père", "à la mère" aussi, au demeurant. J'ai choisi autre chose. 

Chère Petite Sirène,

J'aime beaucoup ton histoire. Attention, pas celle de Disney où tu parais en rouquine inepte. Non. J'aime beaucoup ta vraie histoire, celle d'Andersen.

Tu es, chère Petite Sirène, le seul personnage de conte auquel je peux m'identifier jusqu'au bout, jusqu'à la fin. J'aime bien aussi Peau d’âne, mais, malheureusement, son histoire fini bien, elle se marie avec le Prince. Toi, chère Petite Sirène, ton histoire semble mal finir, et c'est heureux. Car, lorsqu'un conte fini bien, dans les flonflons d'un mariage et les larmes de joies, je décroche. Je ne me sens pas à la hauteur d'un heureux dénouement. Je suis jetée hors du monde du conte, hors du monde tout court, et je retourne à ma solitude et mon indignité. Moi ? Épouser le prince ? Allons bon ! 

On dit que ton histoire fini mal. Effectivement, tu te transformes en écume de mer, c'est comme si tu mourrai. On fait plus gai. Mais on fait difficilement plus vrai. Tu rejoins ainsi Le Petit Prince, autre conte que j'adore, mais lui c'est un garçon, qui rencontre une rose prétentieuse et fragile, et un formidable renard. Moi, je n'ai rencontré que des princes distraits. Ni rose, ni renard.

Avant, après l'école, je m'attardais et je jouais aux billes avec Mathias. Mathias n'est pas le premier prince distrait que je rencontre, mais c'est le premier que j'ai réussi à convaincre de jouer aux billes avec moi. Mais la fille qu'il a embrassé derrière le gymnase, ce n'est pas moi, c'est cette miniature d'Agathe. J'étais recroquevillée en haut du toboggan, ce qui me permettait de les apercevoir dans l'escalier interdit au public où ils s'étaient planqués. Mes jambes pliées sous moi me faisaient mal, mes pieds s'engourdissaient. J'étais comme toi Petite Sirène, dédaignée par le prince distrait, à souffrir mille morts dans mes jambes.

Ce soir là, pas de partie de billes, ni les suivants. Maintenant, je rentre plus tôt à la maison.

Oui, Petite Sirène, nous avons des points communs. Ce prince distrait, je ne lui en ai même pas voulu. Parce que j'ai moi aussi conscience de "ne pas en être". Comme toi, je cache une sorte de queue de poisson. Et il est bien naturel que le prince distrait aime et épouse une semblable quand toi et moi ne sommes que des imposteuses.

Moi, ce n'est pas vraiment une queue de poisson, je pense. En fait, je n'en sais rien. C'est un ensemble de choses difficiles à dire, même à toi Petite Sirène. Assurément, je n'arrive pas à la cheville de la minuscule Agathe, mais de plus, je ne suis pas de la même espèce. Je suis un monstre cachée parmi les humains. Une sirène parmi les humains si tu préfères, oui, c'est plus valorisant. Mais ça ne change pas grand chose : toi et moi devons nous taire, planquer notre queue de poisson, et laisser les humains entre eux.

Le docteur cervelle dit qu'on peut changer de conte. Ca me semble curieux, et pas très moral. Je pourrais te jeter, Petite Sirène, et choisir cette sotte de Belle au bois dormant par exemple ? Non, je ne pense pas. J'aime trop ta détermination, ton courage, et la liberté que tu prends en suivant ton désir, sans te plier à ta famille et à ta condition de sirène. Alors que la Belle au bois dormant se contente de dormir, et laisse tout le boulot au prince. 

Je te laisse, Petite Sirène, et passe le bonjour à tes sœurs de l'air.



vendredi 5 avril 2013

La canard d'Ithaque

Comme je l'ai raconté ces jours-ci, désormais, les hommes m'abordent plus facilement. Et même carrément facilement ! A deux par semaine on peut se demander s'il n'y aurait pas complot.

Mais, de même qu'une hirondelle ne fait pas le printemps (surtout cette année, qu'est-ce qu'on se les caille !), quand ça mord, c'est pas toujours du premier choix.

Remontons dans le temps, jusqu'au mec de l'expo. J'étais moyennement emballée par le physique du gars, et par son allure de vieil hippie. Et quand j'ai lu son mail, à peine de retour chez moi, la suspicion s'est amplifiée. J'avais ensoleillé sa journée, tout ça. Je le mis en garde : faire connaissance, rencontrer de nouvelles têtes, oui, mais précisais-je, je n'étais pas super open ces temps-ci. Quand il s'enthousiasma à l'idée de me revoir, et qu'il précisa combien il était impatient de me parler de ses nombreuses passions (qu'il me lista !), le doute n'était plus permis : ce type était un énième égocentrique placé sur ma route. Lorsque le lendemain matin, à 6h25, je reçu un mail qui commençait par : « mes premières pensées sont pour toi », j'ai manqué d'air.

J'ai donc renvoyé le monsieur à ses passions.

Et Monsieur Impulse alors ? Je lui ai envoyé un sms prudent, proposant que l'on fasse connaissance autour d'un verre. L'idée l'enchanta tellement qu'il me proposa de venir le rejoindre tout là-bas derrière le périf, en bout de ligne de métro, dans un endroit super : chez lui. Il me vendait le truc en disant que son appart était drôlement chouette, avec balcon (qu'est-ce que ça peut me foutre ? Je cherche pas à investir dans la pierre !), et que c'était là qu'il recevait les gens très importants pour son métier d'artiste. Une bonne adresse en somme, mondialement connu. Je n'avais plus qu'à me féliciter de ma bonne fortune et remercier le grand homme de s'intéresser à mon insignifiante personne.

Je suis peut-être vieille France, mais un inconnu qui me propose de venir chez lui direct (à Tataouine en plus), je prends ça pour une invitation à écarter les cuisses rapidement et sans manière. Probable que la bière serait tiède et que les préservatifs seraient à ma charge. Je connais la musique ! Même si c'est lui qui voulait me jouer du piano vu que c'est son instrument (et peut-être surtout du pipeau).

L'échange tourna alors à l'aigre. Et malgré les smiley qu'il utilisait à foison, je suis restée plus que dubitative quand je lu : « Tu crois que je voulais te sauter ?? Tu te prends pour un sex symbol ;) ?!? :) ». Çà restait romanesque en un sens, mais on passait de L'Astrée à Nana sans transition. Me suis pas démontée, je lui ai demandé : « pourquoi ? Tu sautes que des sex symbol ? » Ambiance, ambiance...

Résumons-nous. Il y a du changement, indéniablement. Mais plus dans la forme que dans le fond. Je me fais l'effet du vilain petit canard. J'ai quitté ma famille qui me traitait mal et dont je me sentais si différente. Depuis j'erre à la recherche de ma vraie famille, en subissant diverses avanies. Cette série de messieurs qui me courent après dans la rue ou les couloirs d'expositions ne semblent être qu'un épisode supplémentaire de l'épopée. 

On pourrait aussi penser à Ulysse et son périple. Et pendant que j'irais de Charybde en Scylla, une improbable Pénélope vieillirait en une Ithaque de légende, peinant à défaire et refaire son éternelle tapisserie.

jeudi 4 avril 2013

L'effet Impulse sans Impulse

Vous vous souvenez ? Je parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaitre. Et même les moins de 30.




Ce soir, je sors du ciné (un navet) et je remonte le canal pour rentrer.

Tout à coup, je vois un mec à coté de moi qui me parle. J'enlève mes écouteurs et le mec me fait : "excusez-moi de vous déranger mais... j'étais assis au café, là, et... je voulais vous dire... vous êtes une très belle femme ! Voilà ! Alors j'ai fait comme dans les romans, j'ai couru, je vous ai rattrapé".

J'ai ri. J'ai dit merci. Le mec avait une bonne tête, un sourire un peu intimidé mais engageant. Et je me suis demandé s'il y avait un concours d'ouvert quelque part, vu que mercredi dernier il m'est arrivé un truc un peu similaire.

Le mec, encouragé par ma bonne humeur, a continué : "j'étais assis au café, là-bas, et je vais y retourner mais... Si... Je serais ravi de faire votre connaissance alors... si vous.. J'aimerais qu'on reste en contact !"

J'ai bien aimé ses hésitations, et ses élans soudains pour arriver à me dire ce qu'il voulait. C'était courageux, mais sans forfanterie. Il était dans ses petits souliers mais était décidé à aller au bout de son idée.

Je lui ai proposé de me donner son numéro de téléphone, et parce que je suis un peu garce, je fais : "vous avez de quoi me le noter ?" tout en avisant la mise du mec : pas une pochette, pas un blouson, il était sorti d'un bond du café, il y avait peu de risques qu'il ait un stylo et un papier dans la poche de son jean. Il fait alors une mine déconfite, mais se reprend : "vous avez un téléphone !" me répond-il en me montrant mon sac. 

Et pendant que j'enregistre son numéro sur mon smartphone :
- Vous êtes artiste ?
Il est marrant, piqué là, un peu raide mais le sourire aux lèvres. Il semble monté sur un petit ressort, il danse un peu, à la façon d'un enfant heureux de vous voir, qui sait qu'il ne doit pas tout de suite vous sauter dans les bras mais qui en meurt d'impatience.
- heu... un peu. En quelque sorte.
- Ah oui ? Vraiment ! Vous... ?
Ca a l'air de lui plaire. Mais je ne saisi pas bien en quoi cette question est importante pour lui.
- J'écris (oui, mon job qui me fait vivre, c'est beaucoup moins sexy, je me vends un peu. Bon. C'est grave ?)
- Des romans ? Des scénarios ? 
J'ai l'air de lui plaire de plus en plus. Il passe d'un pied sur l'autre, tout excité.
- Des romans.
- Ah ! Et bien vous voyez, aujourd'hui, c'est comme dans un roman !
Et, passant du coq à l'ane :
- Vous vivez avec quelqu'un ? Vous êtes célibataire ?
- Célibataire (Je le regarde par en dessous, me demandant jusqu'où va aller l'interrogatoire, tout en me concentrant sur mon smartphone rebelle)
La réponse semble le ravir.
- Vous avez des enfants ?
- Non. (et comme j'ai fini par arriver à enregistrer mon tout nouveau contact) La suite de l'interrogatoire sera pour une prochaine fois. A bientôt.

Je pense qu'il tenait absolument à garder le contact, à parler, pour ne pas me laisser filer. 

Et là, en écrivant, je me demande si nous nous sommes dit au revoir, je ne me rappelle pas, est-il possible que j'ai été si mal polie ? Cela semble bien peu probable, mais j'étais, disons... quelque peu surprise. 

Il semble bien que les choses changent et que, sans que je m'en rende compte, l'effet que je produis sur les gens évolue sensiblement. Je suis définitivement "in progress" !




mardi 2 avril 2013

"Les mots pièges qui alimentent les maux" par E.

E. m'envoie un texte à publier, réponse au billet sur les mots pièges.

E. et moi avons une façon très différente d'aborder le monde et la vie. Je n'en fais pas un casus belli. Je suis même intimement persuadée que c'est ce qui fait notre attirance mutuelle. L'inconnu est toujours plus désirable que le rebattu. Mais il y a avec E. un mélange étonnant entre le connu et l'inconnu : j'ai la sensation que personne ne me connait mieux que lui, et j'ai également la sensation de très bien le connaître, et en même temps j'ai la certitude que nous vivons dans des mondes totalement différents et assez impénétrables l'un à l'autre. Non, vraiment, je n'en fais pas un casus belli, mais ça n'est pas toujours confortable.


Les mots pièges qui alimentent les maux.

Il est intéressant de regarder en quoi les mots pièges le sont souvent par « omission » de les situer dans leur cadre de référence. L’exemple proposé par Marionde dans « les mots pièges » lorsqu’elle se sentait « mauvaise » alors que nous parlions de contamination de l’Adulte par l’Enfant illustre parfaitement ce constat.
Avant de poser une hypothèse sur ce qu’il s’est peut être joué entre nous, il me semble nécessaire de présenter quelques concepts d’Analyse Transactionnelle.
Les états du moi
Les termes Enfant, Adulte, Parent, avec des majuscules, sont des concepts qui appartiennent à une théorie psychanalytique établie par le psychiatre Eric Berne (né à Montréal en 1910, mort aux USA en 1970) entre 1950 et 1970. En s’appuyant sur le travail de Paul Federn (proche de Freud né à Vienne en 1871 mort à New York en 1950) et sur l’observation de ses patients, il conclut que la structure de la personnalité comporte des émotions des pensés et des comportements qui peuvent être :
  • Introjectés à partir des figures parentales : le Parent.
  • Congruents et en lien avec la réalité : L’Adulte.
  • Vestiges des vécus infantiles restés fixés pouvant apparaitre de façon non maitrisée dans la vie courante : l’Enfant.

Eric Berne modélise ce concept par trois cercles empilés verticalement et se tengentant

Il observe que certaines personnalités excluent pratiquement la totalité d’un état du moi, il nome cela l’exclusion. Chacun aura croisé dans sa vie une personne donneuse de leçons ne prenant jamais le temps de plaisanter, de se détendre, de faire l’amour,… Qui exclue presque totalement son Enfant.
De la même façon il observe que le Parent et/ou l’Enfant peuvent empiéter sur l’Adulte. C’est cela qu’il nome la contamination. Par exemple, une contamination de l’Adulte par le Parent peut correspondre à une personne qui rationalise et démontre une valeur parentale par l’utilisation de généralisations, de grandiosités, de minimisations,… « Les noirs sont bien montés », « les maghrébins sont des voleurs », « Les femmes ne savent pas conduire ». La contamination de l’Adulte de cette personne par son Parent la conduit à véhiculer ce genre de préjugés qu’elle estime comme une réalité dans l’ici et maintenant.
Bien entendu, la théorie de l’Analyse Transactionnelle comporte beaucoup d’autres concepts qu’il n’est pas nécessaire de développer ici. Je ne mettrais en avant que et les Scénarios de vie et les Jeux Psychologiques.


Le scénario de vie
Selon Eric Berne, l’enfant tout petit peut rencontrer des situations insatisfaisantes et répétitives pour lesquelles il n’est pas en mesure de donner un sens. Ces situations sont bien souvent générées par l’absence, les dysfonctionnements, les méconnaissances,… des adultes qui s’occupent de lui. Pour supporter la situation, l’enfant prend des décisions qui restent imprimées dans son inconscient et qui conduiront ultérieurement sa vie d’adulte.
Il faut prendre en compte que ces décisions prises avec les moyens dont dispose un enfant de cet âge (très précoce), sont souvent inadaptées aux situations rencontrées par l’adulte qu’il deviendra. Cet adulte n’aura généralement pas conscience du mécanisme qui le pousse. C’est ainsi par exemple que certains reproduisent toute leur vie les mêmes situations d’échec.

Les jeux psychologiques
C’est avec les jeux psychologiques et son ouvrage : « Des jeux et des hommes » qu’Eric Berne et l’analyse transactionnelle ont été connus du grand public à la fin des années 1960. Le jeu est une séquence de vie qui se joue à deux ou plus et qui conduit le perdant à ressentir un malaise plus ou moins profond suivant l’intensité du jeu.
  • Le joueur A identifie inconsciemment un point faible chez B.
  • A lance un appât souvent anodin, B s’en saisit (c’est son point faible), il y a plusieurs échanges entre A et B.
  • Il y a ensuite un coup de théâtre initié par A.
  • B ressent un gros malaise.
  • A et B tirent leurs bénéfices (négatif pour B, négatif ou ponctuellement positif pour A)
Les querelles de couples qui se jouent pendant des années sur les mêmes sujets illustrent parfaitement ce qu’est un jeu dans la vie de tous les jours.
Les jeux mis bout à bout, tout au long de la vie permettent de maintenir en place le scénario et de ne pas remettre en cause les décisions prises par l’enfant.
Bien entendu, il y a en arrière plan de ce mécanisme une grande part d’inconscient.


Une fois ces trois concepts posés, comment interpréter la perception de Marionde qui se sentait « mauvaise » lorsque nous parlions de la contamination de mon Adulte par mon Enfant ?
Marionde connait très bien l’Analyse Transactionnelle et devant son incompréhension du terme « contamination » je lui ai rappelé ce qu’Eric Berne mettait derrière. J’utilisais ce terme pour parler de difficultés qui touchent à mon enfance et qui donc, me sont propres. Alors, pourquoi cette perception ? Pourquoi Marionde se voit comme « un toxique narguant un pauvre abstinent » ?
Je formule l’hypothèse qu’il s’agit peut être de l’amorce d’un jeu psychologique entre nous. Cette réponse au texte «Les mots pièges » est peut être une façon pour moi de « saisir l’appât ». Nous verrons la suite que nous donnerons à cette séquence de vie.
Si l’hypothèse ci dessus est exacte, Marionde et moi pouvons nous interroger en quoi ce jeu vient renforcer et inscrire dans la durée nos scénarios respectifs.

Bien à vous tous
E

samedi 30 mars 2013

Contenance

Il y a quand même eu des signes précurseurs.


Je n'ai rien dit de mes séances de jambes en l'air avec L. Pourtant, il y aurait eu matière. Je ne vous ai rien dit de mes quelques rendez-vous ces derniers mois avec G. Pourtant, il y avait là aussi de quoi faire. J'aurai pu vous conter mes déjeuners et pots successifs avec E. Je m'en suis bien gardée. Pourtant, là, pas de détails scabreux, notre relation est platonique désormais. 

J'ai écrit deux "romans" autobiographiques. Le troisième ne le sera pas.

Cela ne lassait pas de m'interroger. Après m'être largement montrer, exhibée, mise à nue, je me mettrais à avoir des pudeurs de vierge ?

Oui, mais non.

Pourtant, je vous rassure, ma vie m’intéresse toujours, et de plus en plus. Et c'est peut-être là que réside le mystère.

J'ai longtemps été vide. Vide de moi, vide d'évènement. Multiplier les rebondissements, les aventures, les moments remarquables (en positif ou négatif), était une solution pour nourrir mon vide, ce tonneau des danaïdes.
Pour que ma vie prenne une dimension quelconque, pour qu'elle existe vraiment, j'ai aussi trouvé une médiation formidable : j'ai écrit. C'était une joie féroce que de se sentir exister, enfin ! Grace à ce que j'écrivais. Grace à mes romans, grâce à mon blog ou autres lieux d'écriture et de publication. En forçant le trait, je dirais que je ne vivais vraiment les choses qu'en les écrivant, mieux en les relisant. Le summum de la sensation d'avoir vraiment vécu "ça" étant que d'autres le lisent, et le commentent. Si cela existait pour les autres, c'est que ça existait vraiment.

Force m'est de reconnaître que, durant presque toute ma vie, je n'ai vraiment exister que dans et grâce au regard des autres. Tout en prétendant me foutre comme d'une guigne de ce que pouvait penser les gens. Ce qui était en partie vraie : peu importe ce qu'ils en pensaient pourvu qu'ils en pensaient quelque chose ! Pourvu qu'ils me voient, m'accordent une existence.

Tout cela est bien triste.

Donc, m'interrogeant sur mes pudeurs soudaines, j'ai réalisé cette chose étonnante : j'existe en moi désormais, en dehors de tout regard, en dehors de toute validation par autrui. Je ne dis pas que je me suffit à moi-même, non. Ce fantasme m'a quitté en même temps que mon besoin de "validation extérieure" pour vivre. Je dis que en moi il n'y a plus le vide, il y a du plein. Ma vie est en moi, elle n'est plus dehors aux quatre vents, à la grâce de celui qui la ramassera et me la rendra toute sale et déformée.

J'ai des frontières désormais, qui contiennent des choses intimes et qui doivent le rester. Ou bien, si je les donne, c'est en cadeau, c'est chose précieuse que j'offre. Je ne suis plus un terrain vague ouvert à tous.

Il y a un inconvénient à cela malgré tout. Je me sens fragile. Toutes ces choses en moi, toute cette vie, c'est fragile, c'est précieux. Moi qui, souvent, ne me suis pas ménagé, ai affronté des situations douteuses, voire dangereuses, je me sens menacée par quelques aléas qui peuvent sembler mineurs. Les petites tempêtes du quotidien battent mes côtes. Je ferme les ports et les frontières pour consolider mon pays en devenir.




mercredi 27 mars 2013

In progress

Un mystère est en passe d'être résolu.

Pendant longtemps, je me suis étonnée que les hommes ne m'abordaient pas dans la vie réelle. D'ailleurs, ils ne me regardaient même pas. J'en étais donc quitte pour draguer sur le net. Je me sentais moche et je tentais donc de vérifier que, grâce au net, on s'attache moins au physique et plus à la beauté intérieur. Rien que d'écrire ça je suis à la limite de faire pipi dans ma culotte de rire, mais que voulez-vous on se raccroche à ce qu'on peut.

Et puis, il eu cet épisode poignant, reconnaissons-le, où j'ai pleuré dans les bras de E. (il y a trois ans environ) parce qu'il m'a dit que j'étais belle. Il a ajouté que j'avais bien le droit, moi aussi, d'attirer les regards des hommes. C'était la première fois qu'on me disait que j'étais belle, ou la première fois que je l'entendais. 

Depuis ce jour, je suis belle. 

Et petit à petit j'ai attiré le regard des hommes dans la rue. Parce que j'ai entendu aussi cette évidence : les hommes ne se retournent pas sur la beauté, il se retourne sur ce qui est potentiellement baisable. Ce qui n'est pas du tout la même chose. Une beauté froide dont on sent qu'elle a les cuisses soudées n’attire guère les regards, quand un petit boudin à l'air déluré remporte les suffrages. Je me sentais belle, restait à avoir l'air délurée. 
Aujourd'hui, c'est devenu un jeu : dans la rue, dans le métro, je comptabilise les oeuillades et les têtes retournées, et je m'en brosse l'égo. Une vraie cagole !

Mais on ne m'abordait pas, sauf de façon tellement vulgaire que c’était surement des actes de sabordage désespérés, voire une vengeance personnelle contre les femmes qui trouvait son exutoire.

Le frotteur de noël, de sinistre mémoire, fût une exception. A moins qu'il ne soit le premier d'une longue lignée.

Aujourd'hui, j'ai été abordé par un collègue, dans une expo professionnelle. Le truc tellement improbable que j'ai d'abord cru que le type m'avait pris pour quelqu'un d'autre. Peut-être ressemblais-je à s'y méprendre à quelqu'un de sa connaissance, ce qui expliquait qu'il me cause ainsi, de but en blanc, du prospectus que je venais d'attraper dans un distributeur.

Le gars était intarissable  trouvant toujours à relancer la conversation quand moi je restais quelque peu sur la réserve. Il faut dire que son air d'ancien hippie sur le retour m'a incité à penser qu'il s'était égaré à la cité des sciences, au milieu du troupeaux de collègues (Ah ! Quel beau métier, professeur !* devait-il penser.) Mais que nenni, nous échangeâmes sur nos disciplines respectives. Puis, comme nous passions devant l'expo sur l'univers, sur le boson de Higgs et la physique quantique. Je vous le dis tout net, le boson de Higgs, les multivers et autre chat de Schrödinger sont les incontournables de cette année et certainement de la suivante. Si vous ne voulez pas passer pour un demeuré, renseignez-vous. Lisez les oeuvres de vulgarisation de Klein (Etienne, pas Yves), lui aussi un incontournable en société, ou matez ses vidéos sur youtube.

Mon cher collègue donc, après m'avoir taillé un bout de bavette, s'est élégamment éclipsé pour me laisser visiter l'expo tranquille, non sans m'avoir glissé ses coordonnées dans la main et m'avoir quelque peu arraché mon mail. De fait, assez estomaquée par la leçon de drague que je venais de recevoir, je n'ai pas eu le coeur de le priver de cela.

Il n'a pas perdu de temps. J'ai déjà un mail dans ma boite, rédigé avec une orthographe plus rigoureuse que la mienne. A vrai dire, je me tâte. L'histoire est mignonne mais le mec me laisse assez indifférente. Pour l'instant. Ou pour toujours. Je ne sais. 

Mais, la bonne nouvelle, c'est que je suis désormais accessible. On m'aborde, on me cause, je ne réfrigère plus le peuple à 20 mètres à la ronde. Et même on me fait une petite cour fort agréable. Cela suffit à mon bonheur.


* Attention, contrepèterie !

mardi 26 mars 2013

Petits déjeuners à Prague


Prague, c'est très bien. J'ai beaucoup aimé. Même seule. En fait, je crois bien que j'ai aimé Prague parce que seule. J'ai, à vrai dire, un rythme à moi. Plutôt placide. Un brin contemplatif. La compagnie en voyage m'agite, voire m'agace.

Où j'ai dormi


Le petit déjeuner à l'hôtel est un moment privilégié pour observer les couples. Et constater que, décidément, on est mieux seule que mal accompagnée. Et même, mieux seule qu'accompagnée tout court.

En arrivant dans la salle à manger de l'hôtel, j'avise un mec assis tout seul. C'est rare les gens qui voyagent tout seul. Un quelque chose m'agace chez ce type. La trentaine veule, il est affalé dans des vêtements informes et sans couleurs bien déterminées. Son regard peine à se fixer, il papillonne à la recherche d'un but, d'un point de fixation, qui arrive sous la forme d'une demoiselle de son age mais aussi raide qu'il est mou. Elle ne descend pas les trois marches qui l'amèneraient dans la salle à manger, non. Elle hèle de loin et de toute sa hauteur son caniche compagnon, d'une voix glaciale et en agitant un index sans appel. Elle articule quelque chose. Le caniche secoue la tête : il ne comprend pas. Elle lève les yeux au ciel, s'agace. Il se lève et trotte, l'échine basse. Il se tient cependant à bonne distance de sa maîtresse, la mine et la posture serviles. D'ailleurs elle a reculée lorsqu'il s'est approché. Pour éviter de le toucher ou le faire avancer encore : vient mon toutou, viens, mais bats les pattes !
Elle lui donne ses ordres : « fait moi une tasse moitié café moitié chocolat, faut que je vois un truc à la réception ». Il obtempère et va tracasser le distributeur de boissons chaudes. Lorsqu'elle finira pas s'asseoir du bout des fesses en face de lui elle déclarera d'un ton pincé que ça aurait été meilleur chaud.

Ils arrivent à la queue leu leu, elle devant, lui derrière. Ils suivent le même chemin devant le large et copieux buffet. Elle s'approche des viennoiseries, il fait de même. Mais elle découvre la vaisselle non loin et se détourne de son but premier pour aller se servir un verre de jus d'orange, il fait de même, dans son sillage, à quelques secondes de distance, d'un geste identique. Elle retraverse vers les viennoiseries et le pain, son homme sur ses traces. Elle opte pour deux tranches de pain aux céréales qu'elle pose sur une assiette. Son type hésite, se désuni. Sa main s'envole comme à regret vers le pain aux céréales mais son regard couve les viennoiseries. Dans un mouvement tournant, il attrape une tranche de pain et choppe au passage, comme si de rien n'était, une poignée de mini-viennoiserie. Mais il a pris du retard, sa compagne a filé à l'autre bout, non sans prendre note de la désertion de son monsieur. Dans ses yeux, le contentement le dispute à l'agacement. Elle est à la fois contente que son mec prenne un peu les choses en mains, qu'il montre de l'initiative, selon ses capacités. Et en même temps il l'agace à ne pas faire ce qui est prévu. Du coup, elle ne va pas le rater : il sait combien de calories il y a dans ces petites saloperies ?

Cimetière juif et sa mangeoire à oiseaux


Ils sont vieux, ils doivent fêter leur noces de marbre ou de je ne sais quel truc solide. Sans un mot, et même sans un regard l'un pour l'autre, sans concertation, lui s'occupe de griller un gros tas de tranches de pain de mie pendant qu'elle remplie des tasses et des verres. Dans un ballet singulier, où chacun semble pris dans sa propre musique, ils vont et viennent comme s'ils n'appartenaient pas à la même dimension, mais avec un but commun : rapatrier sur la table tout un tas de truc et de machins, par série : elle les confitures, lui les assiettes de charcuteries, elle les liquides, lui les tartines. Ils finissent par s'asseoir l'un en face de l'autre, toujours sans un regard et sans une parole, comme deux fantômes. Il plonge dans la tasse de café que vient de sucrer la femme. Elle attrape avec voracité deux tranches de pain grillé qu'il vient de poser sur la table. Et si, un matin, monsieur avait envie d'un thé et madame d'un pain au chocolat ? Un monde clos et rance s'écroulerait pour cause d'air frais ? Les noces de marbre voleraient en éclats de rage ?

Ils sont quatre, deux couples interchangeables. Il sont beaux, ils sont minces, ils ont des lunettes discrètes mais néanmoins coûteuses qui corrige leur presbytie. Ils défilent et virevoltent dans la salle à manger. Les dames exhibent leur formes élancées dans des jeans moulants mais quand même un peu usés. Les hommes ont un pull noué autour de leurs épaules contrastant savamment sur la polaire. Tout le monde porte des chaussures de marche à crampons, des Aigles. La cinquantaine conquérante, ils regrettent que tout ne soit pas bio sur le buffet, mais garde un sourire zen aux lèvres. Ils paradent. Je suis au spectacle. Ils sont beaux, ils sont riches, ils sont heureux ou font semblant de l'être, ils sont écologiques, ils sont équitables, et ça doit se savoir !

Place de la vielle ville, à quelques heures du départ

Bref, chaque journée à Prague commençait par un moment d'épiphanie : je me frottais les mains d'être seule, merveilleusement tranquille.

samedi 23 février 2013

Les mots pièges

Les mots (et les concepts sous-jacents) m'ont sorti de mon désordre. Nommer, catégoriser, m'a permis de donner un sens aux évènements, et surtout des leviers d'action. 

Nommer E. comme manipulateur, par exemple, m'a permis de comprendre la confusion et la paralysie dans lesquelles j'étais plongée, puis m'a donner les outils pour me protéger. Et même, ce mot, et ce que j'en apprenais, m'a donné l'autorisation de me défendre. 

Mais les mots sont parfois piégés. Et quand j'ai dit à mon psy que l'analyse transactionnelle était un langage commun bien commode avec ma psy précédente, il m'a fait remarquer (les psy traditionnels ont une aversion courante pour les techniques diverses des psychothérapeutes, y compris l'AT) que le langage commun, les mots prêt à l'emploi, étaient souvent des inhibiteurs d'émotions. Dans un processus que je connais par coeur, j'ai commencé par me sentir fragilisée : ce mec voulait-il dire que tout le travail que j'avais fait depuis trois ans était à foutre à la poubelle ?

Bien sur que non. 

Il y a des situations où simplifier sauve. Où le "bon" mot donne l'énergie qui manque pour survivre. Quand on est en danger de mort, ce n'est pas le moment de se demander ce qui pousse votre agresseur à vous viser avec son pistolet ; quand on pense tous les jours au suicide le plus urgent n'est pas d'aller sonder les misères de sa petite enfance, bien au contraire.

En écoutant Monsieur Psy, j'ai eu rapidement la sensation que des champs nouveaux s'offraient à moi. Sa façon de me parler (ou ma façon de l'entendre ?) m'ouvrait vers des territoires non pas inconnus, mais que je ne savais pas où déposer.

C'est ainsi que, m'a-t-il dit, ma préoccupation concernant mon sentiment d'incompétence à parler, à dire des choses importantes pour moi, allait dans deux directions. Tout d'abord, l'intérêt que pouvait avoir ma personne et l'importance de ce que j'ai à dire (Suis-je importante ? Ne passe-t-on pas la majeur partie du temps à dire des choses "inutiles" ? Quelle discussion avait une réelle importance pour moi ?). Et ensuite, deuxième direction, quelle est la place de l'humain dans le monde, quelle importance a sa vie et sa parole au regard de la mort et de l'univers.

Wahouuu ! Tout à coup, mon souci très circonscris me semblait-il (à savoir mon impression que ce que j'ai a dire n'a aucune sorte d'importance) rejoignait une angoisse métaphysique que je triturais depuis un certain temps, par un mécanisme magique que je ne m'expliquais pas encore. La surprise n'a eu d'égale pour moi que le soulagement que je ressentais alors : je n'étais plus seule avec mon angoisse, j'avais trouvé à qui parler.

Avec Madame Psy, les choses étaient toutes autres. Avec elle, je réduisais les têtes. La mienne et celle des autres. J'apportais mes méandres et elle les faisait passer dans l'entonnoir, bien en ordre. Au prix d'une simplification parfois un peu excessive à mon goût. J'avais souvent l'impression, à la fois de trouver une aide et le courage pour avancer, et de sacrifier une part importante de moi. Je ne savais pas bien laquelle. Ni si c'était une "bonne" part ou une "mauvaise". Mais quand on est perdu en pleine jungle, sans eau ni pain, il faut bien trouver une serpe pour tailler une route, on fera de la botanique plus tard.

Lors d'un déjeuner avec E., nous avons convenu que notre "nouvelle" relation était tout de même bien ambiguë. Il ne nous échappait pas que, derrière les verres et les déjeuners, un désir autre qu'amical s'exprimait. Une amie a qui je racontais la chose m'a fait remarquer que, justement, il n'y avait pas d’ambiguïté puisqu'on la reconnaissait ouvertement. Comme quoi, nommer quelque chose peut juste servir à dire le contraire.

E., féru d'analyse transactionnelle (AT), m'a dit : "notre parent est contaminé par notre enfant". Le mot "contamination" m'a fait bondir. Je ne me sentais pas malade, merci. Et je refusais de voir ses sentiments pour moi (et moi-même par rebond) comme une maladie, comme une chose mauvaise qui "contamine". J'aurai tout aussi bien pu lui en remontrer et lui balancer que ce que je voyais surtout c'était une contamination de son enfant libre par son parent normatif. Mais l'essentiel n'était pas de se battre avec les mots de l'AT. L'essentiel était pour moi d'entendre la peur que E. ressentait. La même peur qui lui avait fait m'envoyer un mail où il me disait se sentir comme un alcoolique devant un bar bien fourni, alors qu'il ne voulait pas retomber dans la compulsion sexuelle. Je me suis vue comme un toxique narguant un pauvre abstinent. Puis j'ai compris sa peur. Et j'ai compris qu'il me refilait le bébé : lui ne me désirait pas bien sur, j'étais la ville tentatrice. Le pervers c'était moi, pas lui. Clivage, déni, expulsion sur l'autre. 

Pour moi, l'amour n'a jamais été une maladie. Pour lui toujours. 20 ans de thérapie n'y changeront peut-être rien.

Pour autant, je rejoint E. sur la conclusion : pas de sexe entre nous. Mais je ne ressens pas de peur, pas de dégoût, pour ce que je ressens. J'ai cherché à m'approcher de ma pensée en disant à E. que le fantasme et la vie pouvait être distincts (et le devait dans notre cas), mais que ce n'est pas parce que ca ne se rejoignait pas que c'était décevant. Le fantasme, comme la lecture finalement, multiplie les vies : on vit quelque chose en fantasme, et on vit en vrai autre chose, différent mais pas moins bien. Tout le problème est de gérer la frustration pour mettre le fantasme à sa place et profiter pleinement de la vie, tout autant que du fantasme.

Dans Vérités et mensonges de nos émotions Serge Tisseron utilise deux autres mots pour expliquer celà : il y a ce qu'on désire et ce que l'on souhaite. Deux choses à ne pas confondre, mais dont aucune n'est "mal".

Tisseron explique aussi comment le terme de "résilience" est piégé, comment il a pris des connotations morales qui le rende glaçant et in-opérationnel du même coup, voire dangereux. Des termes, apparemment bien commodes, ne font que réduire le vécu et caricature la vie émotionnelle, au point de dénaturer l'humain.

Bon nombre de termes utilisés en psychologie, décrivant au départ des processus précis, mais devenus fourre-tout, sont des bombes anti-personnelles. 
"Contamination" en est un. 
"Passage à l'acte" aussi tant il est devenu évident que ce passage à l'acte ne peut être que négatif. Pourtant, quand on a le cul entre deux chaises, ou les deux pieds dans le même sabot, on a tout intérêt à "passer à l'acte", à faire quelque chose. 
"Manipulateur" en est un troisième, puisque la peur de l'autre s'érige alors en principe quand c'est le soin de soi qui devrait l'être. "Amour" en est finalement encore un, puisque le lien (avec lequel on confond souvent l'amour, mais s'il n'y a pas d'amour sans lien, il y a des liens sans amour) est parfois source de bien des désagréments.
Mais c'est aussi le cas d'"oeudipe", dans la bouche de ma mère. Ce mot, avec la définition qu'elle lui donnait, et toutes ses connotations infamantes. Il n'est pas anormal qu'une petite fille soit un peu amoureuse de son papa, m'a dit E. Pour n'importe quelle petite fille non, mais pour celle que j'ai été, si ! C'était même la source de tous mes problèmes et de tous les problèmes relationnels entre mes parents, dixit ma mère. 
Pour autant, ce que ma mère livrait, c'était sa propre honte d'aimer son père à elle. Sa propre culpabilité d'être l'enfant préféré de son père, et peut-être même un peu plus, la petite fille née juste après guerre, l'enfant de l'espoir et qui devait rendre le sourire à son père. Elle ne disait pas que des conneries, mais elle se trompait de destinataire. Elle aussi, me refilait le bébé. 

Mais alors, que dire ? Avec quels mots ?