Lorsque je me suis présentée chez N.,
le garçon qui m'a ouvert ne correspondait pas du tout à la
description et aux photos que j'avais vu en ligne. La politesse
s'alliant à la surprise, je le suivi néanmoins dans l'appartement,
bien décidée à écourter ma visite au plus strict nécessaire.
Le mec, qui ne m'avait pas dit plus de
deux mots, s'est assis dans un canapé bleu et élimé, pendant que
je restais les bras ballants au milieu de la pièce, ne sachant que
faire face à ma déconvenue et au mutisme de mon hôte. C'est alors
que se profila une immense silhouette dans le couloir sombre qui
devait mener au reste de l'appartement. « Je suis désolé, je
n'étais pas prêt », me dit le colosse qui s'approchait vers
moi en s'aidant d'une canne. C'était N. Et le mec qui était venu
m'ouvrir était un ami à lui.
N. était du genre sociable. Son
appartement était le rendez-vous d'un nombre incalculable d'amis,
affiliés et connaissances. Il n'était pas rare que certains
viennent manger, ou dormir. La sonnette annonçant les arrivées
incessantes rythmaient la vie chez N.
N. recevait beaucoup, mais ne pouvait
que très peu sortir. Il avait été fracassé deux ans plus tôt
dans un accident de la route. Il était mort deux fois, rattrapé de
justesse à chaque fois par les blouses blanches. Un miraculé. Un
exploit médical qui, après plus d'un an d'hôpital et de
rééducation, arrivait à trainer désormais sa carcasse sur
quelques dizaines de mètres, avec une canne.
Pour pouvoir passer une nuit ensemble,
il fallut ruser pour ne pas être dérangé par les visiteurs. De
rares très bons amis avaient été mis au parfum, et il avait menti
longtemps à l'avance à qui pouvait entendre. Vendredi en 15, il
n'était pas là. Je ne sais plus quel prétexte il avait trouvé.
Nous fûmes malgré tout dérangé quelques fois par la sonnette, que
N. ignora.
Il préféra tout d'abord s'occuper de
moi, à coup de caresses, et de léchages divers et variés. Ses
cunnilingus étaient délicieux. Mais j'insistais pour lui rendre la
pareille. Je ne me souviens plus des détails, c'était il y a si
longtemps, plus de dix ans. Mais je me souviens que le convaincre de
se laisser faire n'avait pas été facile.
Il m'a finalement laissé découvrir
son grand corps cassé. Une épaule déformée, des coutures sur le
torses, un bassin déconstruit, une jambe difforme. Je ne peux pas
dire que je m'étais préparée à ça, pourtant rien ne pouvait
m'arrêter. Sauf lui, s'il en avait émis le souhait, mais j'espérais
de toutes mes fibres qu'il n'en fit rien. Tout doucement je
parcourais son corps, cajolant chaque centimètre de peau, ayant à
coeur de ne rien laisser de coté, ne rien laisser dans l'ombre de la
peur et de la misère.
Le plus impressionnant, et que je mis
un moment à découvrir, tant il fallut de temps pour que N.
s'abandonne assez, était une de ses fesses.
Un très long séjour couché lui avait
valut quelques escarres, dont un énorme en plein milieu de la fesse.
N. était immense, et replet . Un ours, avec des pattes formidables.
Son cul était (enfin, au moins pour moitié) en proportion, large et
rebondis. Mais une de ses fesses était creusée en son centre par un
vortex phénoménal, un siphon aspirant toute la chair alentour,
réduisant cette fesse à presque rien.
C'est avec une lenteur extrême, que je
glissais vers cette blessure. J'y amenais tout doucement mes doigts,
puis ma bouche. Je calais mes avancées sur ce que je sentais de N.
J'étais tout contre lui, en liaison direct avec le moindre frisson,
la moindre tension. Je voguais sur ses changements subtils, ces
vagues de la peau et des muscles. Tous les flux et reflux de N., sa
peur, sa honte, mais aussi sa détente, son bien-être, me guidaient.
J'ai déposé de petits baisers sur les
bords de la blessure, puis plus loin. Je me demandais si N.
appréciait. J'avais peur que la peau, peut-être très sensible à
cet endroit, n'enregistre douloureusement le passage de mes lèvres.
Puis de ma langue. Mais je m'accrochais au corps détendu de N., à
son souffle discret mais serein. Tout semblait bien se passer pour
lui. Je ne sais plus combien de temps a durer ce baiser à sa
blessure. Mais, petit à petit, je sentais monter en moi un immense
sentiment de gratitude, qui grandi, et déborda mes yeux. J'étais
reconnaissante à N. de m'offrir ce moment de confiance absolue,
d'abandon total.
J'ai longtemps eu un peu honte de cet
épisode. Pas honte de N., non, mais honte d'avoir ressenti de la
joie (et quelle joie ! Quel bonheur !) devant ce corps démoli,
devant cette cicatrice si terrifiante. Étais-je normale ? N'étais-je
pas perverse au dernier degré ? Comment expliquer qu'un corps cassé
et souffrant puisse à ce point me transporter ? J'étais extrêmement
mal à l'aise face à ce que j'avais vécu ce soir là. A tel point
que c'est la première fois que je parle de cela. Plus de dix ans
après.
Je n'ai plus honte. J'ai vécu depuis,
et je sais que ce qui me comble plus que tout ce sont ces moments où
l'autre me fait une confiance aveugle, où je reçois ce cadeau
absolu, et où je ressens pour celui qui se livre et s'abandonne une
gratitude océanique.
C'est un colosse à la fesse percée.
C'est un homme qui, au coeur de la nuit, tout ensommeillé, m'attrape
dans ses bras pour me dire : « tu es là ! Je croyais que tu
m'avais abandonné !» et qui, au petit matin, me laisse
investir son corps sans pudeur. C'est un autre homme qui me parle, se
dit, s'épluche pour aller toujours plus au vif.
Mais il est assez remarquable que,
souvent, les hommes supportent mal ce don, et fuient peu de temps
après, attrapant le moindre prétexte pour vous faire payer le prix
de ce somptueux cadeau jusqu'au moindre centime.