lundi 29 avril 2013

Changer ? Facile à dire !

Une des plaies humaines, psychologiquement parlant, c'est la répétition. Avez-vous remarqué que vous vous retrouvez systématiquement dans les mêmes situations ? Que même lorsque les personnes concernées semblent très différentes (d'ailleurs, au début, c'est souvent ce qui vous a plu, quelqu'un de si différent), vous vous réveillez quelques mois ou années plus tard dans la même impasse ? Et de vous exclamer : "ah oui ! Vraiment ! Tous des salauds" (ou toutes des vénales, ou tous des lâches, ou toutes des coureuses). Sous l'emballage qui change, toujours le même cadeau pourri.

Mon psy (ah ! Mon psy !) m'a conseillé un exercice. M'ouvrir à l'étrange, aller vers des gens" bizarres",  avec lesquels je me sentirais étrangère, et essayer de voir comment "ça" marche cette bête là.

La seule objection que j'eus, c'est que le "bizarre", ça me connait. Si je constituais une galerie de portraits des hommes de ma vie (tout ceux que je n'ai pas oublié, disons), ça nous ferait une sacrée cour des miracles ! Le bizarre, l'étrange, ça m'attirerait plutôt, avais-je envie de dire. Il s'agissait donc d'un autre "bizarre", d'une autre "étrangeté". 

La mission semble pourtant tentante, même si là, comme ça, on ne voit pas bien, ni comment reconnaître ce "bizarre" là, ni, à fortiori, où le trouver. Pourtant, le péril n'est peut-être pas là où l'on croit.

De façon totalement inattendu, et en tout cas fort peu préméditée, j'étais hier attablée dans un café chic, d'un quartier huppé, face à un monsieur et son Perrier tranche.

Ma première réaction, lorsque j'avais accepté le verre, avait été de le détester, et de me détester. J'avais prévu d'écrire, et je lâchais ma tâche pour boire un verre avec lui. Pourtant, personne ne me forçait à accepter, et le nombre de jours où j'ai décidé d'écrire sans arriver à m'y mettre atteint un chiffre désolant (je dirais deux fois sur trois). Autant dire que ce pauvre mec ne pourrait être rendu responsable d'un quelconque retard dans la confection de mon troisième roman que personne n'attend. 

Finalement, je me retrouvais confrontée à un dilemme cornélien, et très intime. J'ai envie de trouver un compagnon aimant, de recevoir de la tendresse et de l'attention mais... je m'accroche à ma vie, mon organisation, mes priorités, et j'en veux déjà à cet inconnu de me prendre du temps. Et pourquoi ça ? Parce que je le soupçonne déjà de vouloir piller ma vie, je me sens déjà colonisée, coincée, dépouillée de moi-même. 

Mais donc, j'ai bu ce verre avec cet inconnu. Qui me semblait des plus "bizarres".

La plus grande étrangeté, paradoxalement, n'étant pas qu'il soit originaire de la même ville du sud que moi (le truc de ouf !) et qu'il ait fait ses études dans la même autre ville du sud que moi (pas dans la même fac, évidemment, moi ayant usé mes jeans sur les bancs de la fac des pauvres voués à le rester -celle de lettres et sciences humaines, en périphérie de l'agglomération- lui ayant profité des cours de la fac des bourges voués à s'enrichir -celle de droit et d'économie, en centre ville). 

Non, finalement, la plus grande étrangeté, c'était moi. 

A ma grande satisfaction, le monsieur m'écoutait, s'intéressait à ce que je racontais. Je parlais de moi, et ça le passionnait. Il me posait nombre de questions qui le prouvait, faisait des liens. En replaçant mon expérience dans des questions plus larges, il me donnait de l'importance, ou me rattachait à son monde à lui. Je n'avais pas juste l'impression de parler de moi, de faire mon panégyrique. Non, c'était... comment dire... Une sorte d'échange ! Sauf qu'à un certain moment, j'ai ressenti une sorte d'inconfort. Je lui posais des questions sur lui, essayant de lui renvoyer la balle. Il répondait, mais, pourtant, j'avais la sensation désagréable de ne pas arriver à le faire assez parler. Je serais bien retournée dans mon rôle habituel, celui d'écoutante. Et, petit à petit, s'est instillé l'idée déplaisante que ce type, en parlant si peu de lui et en m'écoutant autant, cherchait à  me dérober quelque chose tout en cachant quelque chose. 

Pourtant, c'était assez faux : il parlait de lui sans réelle réticence. Ce qui me permettait au demeurant de faire de même. Si je faisais un petit condensé de ce que j'ai appris de lui en une heure trente, ça nous ferait un joli chapitre de roman, un beau portrait.

Faut-il donc se résoudre à voir dans ma manie d'écouter une défense ? Et si je reproche autant aux gens que je rencontre leur manque d'écoute, leur égocentrisme, n'est-ce pas une façon bien commode d'éviter de me poser les bonnes questions ? A savoir : qu'est-ce que je veux garder absolument pour moi et qui me semble mis en péril par l'autre ? Qu'est-ce que les murs et le pont-levis de ma personnalité veulent protéger ? Qui-a-t-il de si fragile à garder fermé à double tour ? Et question subsidiaire : en quoi l'autre est-il forcément fourbe ? Pourquoi dois-je partir à la quête de ce qu'il risquerait de me cacher en le faisant parler ? 

Mais il y a une chose à laquelle j'ai appris à me fier : mon instinct. Et si la lumière rouge s'était mise à clignoter à bon escient ? Si cet homme était réellement dangereux, et que je l'avais senti ?

Cet homme avait une autre caractéristique déroutante pour moi : il s'occupait de moi, de mon confort. Il se soucia de savoir si je n'avais ni trop froid ni trop chaud, s'assura que je sois régulièrement désaltérée, il me versa même ma boisson dans mon verre, comme aurait du le faire le garçon, vous savez, quand il vous verse moitié de la bouteille dans votre verre pour que vous ne vous donniez pas cette peine, tout en se gardant de tout verser d'un coup. Cet homme était aux petits soins pour moi. Je n'ai pas vraiment l'habitude de cela, c'est même assez souvent l'inverse. Je suis du genre à proposer d'aller chercher des cafés au comptoir au premier bâillement de mon vis à vis, à acheter le jus de fruit préféré de mon invité et un paquet de brosses à dent si je pense qu'il passera la nuit chez moi (j'oublie en général que je l'ai fait la fois précédente, ce qui me confère un stock confortable de brosse à dents de rechange). 
Je dois avouer que toutes ces attentions, alors même que mon monsieur du jour semblait des plus naturels, fini par m'alerter : trop, c'est trop, que fomentait ce type qui cherchait à m'enfumer avec ses manières trop polies pour être honnêtes ?

Et lorsqu'il m'expliqua sa passion coûteuse des antiquités, qui lui avait valu son divorce, sa femme comprenant mal comment des sommes conséquentes pouvaient passer en médiévaleries, les conduisant à manquer d'argent pour boucler le mois, quand il ajouta à cela, à cette dilapidation, l'exposé de son coup de poker professionnel, je fus... comment dire... Partagée, déstabilisée, interrogée sur mes motivations et mes à priori.

L'argent semblait un peu un jeu pour lui. Ca va, ca vient, rien de bien méchant. Et mon premier réflexe fût de le trouver bien léger, bien inconséquent. L'argent, c'est connu, ne pousse pas sur les arbres. Avoir vu les huissiers débouler au domicile maternel, avoir vécu avec le rmi, avoir été interdit bancaire, ne m'aide pas à trouver les questions d'argent légères ! C'est même un boulet pour moi. Je n'aime pas m'en occuper, devoir demander un délai aux impôts m'empêche de dormir, et le chiffre de mon découvert me donne des bouffées d'angoisse. Alors ce petit monsieur qui se ruine en salle des ventes, bah... C'était peut-être un escroc, non ? Pour trouver que l'argent, c'est si facile, il faut le voler, non ?

Je ne pu alors pas m'empêcher de penser à E., dont le matérialisme et la propension à accumuler, à laisser l'argent et le matériel guider sa vie, m'a parfois désespéré. Finalement, je suis plus proche de lui que de ce H. (le monsieur d'hier, s'appelle H.). Et le violent mépris que j'ai parfois ressenti pour le matérialisme de E. n'est qu'une façon différente de gérer le même mal : la peur de manquer. Lui thésaurise à perte de vie, moi je m'obstine à ne pas donner de valeur à l'accumulation parce qu'elle m'est inaccessible (une variante de "pauvre mais propre"). C'est la fameuse fable des raisins trop verts.

D'un autre coté, je trouvais que la façon de vivre de H. ne manquait pas de panache, de romanesque, et qu'il avait bien raison de s'offrir ce dont il avait envie lorsqu'il le pouvait. J'enviais sa désinvolture, tout en ne perdant pas de vue qu'il était peut-être facile d'être désinvolte avec l'argent quand on habitait le 7eme arrondissement, qu'on avait une demeure 17eme en Normandie et une paire de pompes aux pieds qui devait bien valoir 2000 euros.

Hier je me suis donc confrontée à quelqu'un de différent, une bizarrerie. Est-ce un "bizarre" habituel (et donc, après des débuts semblants bien différents, vais-je me retrouver comme d'habitude utilisée puis jetée comme une crotte, pour faire court), ou est-ce un "bizarre" selon mon psy ? Mystère. Mais en attendant, je me suis colletée avec des questions dérangeantes et surtout à ma peur de l'autre, cet autre toujours suspect de vouloir m'envahir, m'utiliser, me rouler, m'abuser. Car, au final, il s'agit bien de cela, de ma méfiance, de ma trouille, qui me conduit dans le mur assez régulièrement.  Mon plus grand défi n'est peut-être pas de trouver l'autre mais de dompter ma peur.




dimanche 21 avril 2013

Texte d'atelier : Le complexe de la profiterole

Je n'ai pas noté la consigne exacte de cet atelier d'écriture. Il s'agissait d'écrire sur le désir, ou le dégoût.


Les questions qui ne se posent pas au présent appellent toujours de mauvaises réponses.

Sera-tu là un jour ? Et alors que fera-t-on ? Si tu me rejoignais, à quoi ressembleraient nos vies ?

Seul le fantasme répond, brandissant un idéal que j'embellis à mesure qu'il devient plus incertain. Plus je t'imagine m'échapper, plus le désir devient torture.

Mais c'est peut-être comme les profiteroles. Je me suis longtemps interdit les profiteroles. Un tel dessert, croulant de glace et de sauce, c'est indécent n'est-ce pas ? J'osais seulement du bout de la pensée.
Mais un jour, je me le suis autorisé. Et j'ai découvert le choux amolli lorsque je l'espérais croustillant, la glace compacte et trop froide, la sauce chocolat écœurante. Si je m'étais offert des profiteroles plus tôt, j'aurais fait l'économie de beaucoup de frustration et d'une déception à la mesure.

Et toi ? A force de répondre à ces questions lancinantes sur un futur hypothétique, comment me semblerais-tu, le jour où tu t'offrirais ?

Tu es une profiterole pensante et parlante, et même agissante. Ces questions, je ne me les pose pas par hasard, tu m'y as amené. Peut-être te poses-tu les mêmes, à peu de chose près.
Mais je suis ici, tu es là-bas, dans deux sphères irréconciliables.

Serons-nous ? Et comment serons-nous ?

Des questions au futur, qui mériteraient le conditionnel (si ma tante en avait on l'appellerait mon oncle), des questions que ne pose aucun présent, ni le tien, ni le mien.

Seules les questions au présent méritent une réponse. Seule l'expérience immédiate de la profiterole répond au désir de profiterole. Si je n'avais pas tant imaginé les profiteroles, je les aurais sûrement aimé, avec gourmandise. Je les aurais apprécié à leur juste valeur, je ne les aurais pas comparées à un rêve de profiteroles.

Les questions qui ne se posent pas au présent ne peuvent amener que de mauvaises réponses, et leur cortège de manque, de déception et de haine.

samedi 13 avril 2013

Monsieur Psy, le dragon et l'arbre

Il est bon mon psy. Il faut dire aussi qu'il a une patiente qui a à cœur qu'il réussisse. 

La séance dernière, j'ai commencé par le remercier pour la séance précédente. Il avait débloqué ce qui commençait sérieusement à ressembler à une phobie scolaire. J'allais à l'école la peur au ventre, avec la sensation d'aller à la catastrophe quoiqu'il arrive. Je ne dormais plus. Que je réussisse ou que j'échoue, les deux options me paniquaient tout autant. 
Sa façon de poser le problème, de tracer la carte de mon territoire et de m'indiquer les chemins de traverse, de me montrer combien le dragon était redoutable et donc combien j'étais courageuse, m'avait souverainement aidé. 

Je n'en espérais pas autant concernant mon autre problème, que je lui exposais. Je me sentais déraper dans un mécanisme d'attente redoutable. Je projetais des choses et des machins, sur lesquels je n'avais aucune prise. Je m'en voulais de retourner dans cette ornière. Je me sentais hors ma vie, obsédé par la vie d'un autre, par les choix d'un autre.

Monsieur psy m'a parlé des arbres qui poussent tout tordus, parce qu'il grandissent en s'adaptant à des milieux hostiles. Ils ont peu de place pour se développer, se heurtent à d'autres arbres, bien plus gigantesques qu'eux, bien plus forts. Alors il se tortillent pour grandir quand même. Les accidents marquent l'arbre et son écorce garde de drôles de déformations, parfois difficile à interpréter, parfois pittoresques, parfois angoissantes. Mais il y a quelques chose de bien plus important dans l'arbre, quelque chose qui circule, qui vit : la sève. La sève, c'est ce qui permet à l'arbre, en dépit de ses déformations, d'aller chercher la lumière tout là haut, et de partir à l’assaut du ciel. 

Alors j'ai compris. Je pouvais quitter mes déformations, arrêter de m'obnubiler sur les terrifiants arbres voisins. Mes contorsions pour faire coïncider mes rêves, mes désirs, avec la vie de quelqu'un d'autre ne devait pas retenir mon attention. Je devais laisser mon tronc et mon écorce vivre leur étrange vie d'arbre tordu, et me concentrer sur ma sève qui ferait naître de jeunes pousses qui monteraient jusqu'au ciel, qui me rendraient grande et belle.

Mais "ma sève", qu'elle était-elle ? Qu'est-ce qui me faisait vivre, sourire, qu'est-ce qui m'apportait joie ou fierté, quoi que décide Pierre, Paul ou Jacques ? Car ce qui était moi, ce qui était ma sève, ne pouvait pas être l'autre, dépendre de l'autre, puisqu'elle lui préexistait. 

Je me suis souvenu de la joie simple que je ressens souvent en regardant les gens. Je collecte les petits signes qui me rapprochent d'eux, qui me font me sentir appartenir à la communauté humaine, mais aussi tous les petits signes qui me les montrent si étranges, si différents, si singuliers. Et c'est de cette confrontation du même et de l'autre que nait l'émotion, et l'amour de l'autre.

Je me suis souvenu de la joie simple que je ressens à la vue des oiseaux sur le canal, des chiens qui jouent et se coursent sur l'esplanade. Je sens alors l'envie de nager avec les canard, j'imite (aussi discrètement que possible) le cormoran qui se hausse du col pour, dirait-on, regarder dans l'eau d'un meilleur point de vue et, tout à coup, plonger la tête vers une proie. Et je ris du chien qui me fonce dessus, la langue pendante, et si je ne me retenais pas, je me roulerais bien par terre avec lui.

Je me suis promis de penser plus souvent à mon manuscrit pris chez un éditeur, pour me rappeler qu'il y a un domaine ou j'ai un peu de talent, et où je réussi. Et pour, à force d'y penser, sentir enfin  la fierté et la joie, qui n'osaient pas poindre trop fort encore. J'ai pensé à mon deuxième roman terminé depuis plusieurs mois et qui dormait encore dans mon ordi. Au troisième qu'il me fallait avancer et que j'avais un peu laissé de coté. Car s'il est une chose qui m'a toujours fait grandir, depuis l'enfance, c'est bien l'écriture.

Je me suis occupé de tout ça. Des gens, des canards et des chiens, de mes manuscrits.

Et l'obsession n'a plus d'intérêt désormais. J'en viens, non plus a tenter de me tordre pour m'adapter à la vie de l'autre, mais à me demander comment l'autre pourrait bien trouver sa place dans la mienne. Qu'il se débrouille, moi je fais pousser mes branches vers le ciel.




dimanche 7 avril 2013

Atelier d'écriture : Lettre à la petite sirène

Lors de l'atelier d'écriture d'hier, l'animateur nous a lu un extrait de la Lettre au père de Kafka. Je vous en recommande la lecture. Sur le net on trouve aussi une lecture d'extraits de cette lettre par Christine Angot, pour ceux qui n'aime pas lire.

Notre consigne : écrire une lettre, éventuellement faite pour ne pas être envoyée.

J'ai déjà écrit (et envoyé) ma lettre "au père", "à la mère" aussi, au demeurant. J'ai choisi autre chose. 

Chère Petite Sirène,

J'aime beaucoup ton histoire. Attention, pas celle de Disney où tu parais en rouquine inepte. Non. J'aime beaucoup ta vraie histoire, celle d'Andersen.

Tu es, chère Petite Sirène, le seul personnage de conte auquel je peux m'identifier jusqu'au bout, jusqu'à la fin. J'aime bien aussi Peau d’âne, mais, malheureusement, son histoire fini bien, elle se marie avec le Prince. Toi, chère Petite Sirène, ton histoire semble mal finir, et c'est heureux. Car, lorsqu'un conte fini bien, dans les flonflons d'un mariage et les larmes de joies, je décroche. Je ne me sens pas à la hauteur d'un heureux dénouement. Je suis jetée hors du monde du conte, hors du monde tout court, et je retourne à ma solitude et mon indignité. Moi ? Épouser le prince ? Allons bon ! 

On dit que ton histoire fini mal. Effectivement, tu te transformes en écume de mer, c'est comme si tu mourrai. On fait plus gai. Mais on fait difficilement plus vrai. Tu rejoins ainsi Le Petit Prince, autre conte que j'adore, mais lui c'est un garçon, qui rencontre une rose prétentieuse et fragile, et un formidable renard. Moi, je n'ai rencontré que des princes distraits. Ni rose, ni renard.

Avant, après l'école, je m'attardais et je jouais aux billes avec Mathias. Mathias n'est pas le premier prince distrait que je rencontre, mais c'est le premier que j'ai réussi à convaincre de jouer aux billes avec moi. Mais la fille qu'il a embrassé derrière le gymnase, ce n'est pas moi, c'est cette miniature d'Agathe. J'étais recroquevillée en haut du toboggan, ce qui me permettait de les apercevoir dans l'escalier interdit au public où ils s'étaient planqués. Mes jambes pliées sous moi me faisaient mal, mes pieds s'engourdissaient. J'étais comme toi Petite Sirène, dédaignée par le prince distrait, à souffrir mille morts dans mes jambes.

Ce soir là, pas de partie de billes, ni les suivants. Maintenant, je rentre plus tôt à la maison.

Oui, Petite Sirène, nous avons des points communs. Ce prince distrait, je ne lui en ai même pas voulu. Parce que j'ai moi aussi conscience de "ne pas en être". Comme toi, je cache une sorte de queue de poisson. Et il est bien naturel que le prince distrait aime et épouse une semblable quand toi et moi ne sommes que des imposteuses.

Moi, ce n'est pas vraiment une queue de poisson, je pense. En fait, je n'en sais rien. C'est un ensemble de choses difficiles à dire, même à toi Petite Sirène. Assurément, je n'arrive pas à la cheville de la minuscule Agathe, mais de plus, je ne suis pas de la même espèce. Je suis un monstre cachée parmi les humains. Une sirène parmi les humains si tu préfères, oui, c'est plus valorisant. Mais ça ne change pas grand chose : toi et moi devons nous taire, planquer notre queue de poisson, et laisser les humains entre eux.

Le docteur cervelle dit qu'on peut changer de conte. Ca me semble curieux, et pas très moral. Je pourrais te jeter, Petite Sirène, et choisir cette sotte de Belle au bois dormant par exemple ? Non, je ne pense pas. J'aime trop ta détermination, ton courage, et la liberté que tu prends en suivant ton désir, sans te plier à ta famille et à ta condition de sirène. Alors que la Belle au bois dormant se contente de dormir, et laisse tout le boulot au prince. 

Je te laisse, Petite Sirène, et passe le bonjour à tes sœurs de l'air.



vendredi 5 avril 2013

La canard d'Ithaque

Comme je l'ai raconté ces jours-ci, désormais, les hommes m'abordent plus facilement. Et même carrément facilement ! A deux par semaine on peut se demander s'il n'y aurait pas complot.

Mais, de même qu'une hirondelle ne fait pas le printemps (surtout cette année, qu'est-ce qu'on se les caille !), quand ça mord, c'est pas toujours du premier choix.

Remontons dans le temps, jusqu'au mec de l'expo. J'étais moyennement emballée par le physique du gars, et par son allure de vieil hippie. Et quand j'ai lu son mail, à peine de retour chez moi, la suspicion s'est amplifiée. J'avais ensoleillé sa journée, tout ça. Je le mis en garde : faire connaissance, rencontrer de nouvelles têtes, oui, mais précisais-je, je n'étais pas super open ces temps-ci. Quand il s'enthousiasma à l'idée de me revoir, et qu'il précisa combien il était impatient de me parler de ses nombreuses passions (qu'il me lista !), le doute n'était plus permis : ce type était un énième égocentrique placé sur ma route. Lorsque le lendemain matin, à 6h25, je reçu un mail qui commençait par : « mes premières pensées sont pour toi », j'ai manqué d'air.

J'ai donc renvoyé le monsieur à ses passions.

Et Monsieur Impulse alors ? Je lui ai envoyé un sms prudent, proposant que l'on fasse connaissance autour d'un verre. L'idée l'enchanta tellement qu'il me proposa de venir le rejoindre tout là-bas derrière le périf, en bout de ligne de métro, dans un endroit super : chez lui. Il me vendait le truc en disant que son appart était drôlement chouette, avec balcon (qu'est-ce que ça peut me foutre ? Je cherche pas à investir dans la pierre !), et que c'était là qu'il recevait les gens très importants pour son métier d'artiste. Une bonne adresse en somme, mondialement connu. Je n'avais plus qu'à me féliciter de ma bonne fortune et remercier le grand homme de s'intéresser à mon insignifiante personne.

Je suis peut-être vieille France, mais un inconnu qui me propose de venir chez lui direct (à Tataouine en plus), je prends ça pour une invitation à écarter les cuisses rapidement et sans manière. Probable que la bière serait tiède et que les préservatifs seraient à ma charge. Je connais la musique ! Même si c'est lui qui voulait me jouer du piano vu que c'est son instrument (et peut-être surtout du pipeau).

L'échange tourna alors à l'aigre. Et malgré les smiley qu'il utilisait à foison, je suis restée plus que dubitative quand je lu : « Tu crois que je voulais te sauter ?? Tu te prends pour un sex symbol ;) ?!? :) ». Çà restait romanesque en un sens, mais on passait de L'Astrée à Nana sans transition. Me suis pas démontée, je lui ai demandé : « pourquoi ? Tu sautes que des sex symbol ? » Ambiance, ambiance...

Résumons-nous. Il y a du changement, indéniablement. Mais plus dans la forme que dans le fond. Je me fais l'effet du vilain petit canard. J'ai quitté ma famille qui me traitait mal et dont je me sentais si différente. Depuis j'erre à la recherche de ma vraie famille, en subissant diverses avanies. Cette série de messieurs qui me courent après dans la rue ou les couloirs d'expositions ne semblent être qu'un épisode supplémentaire de l'épopée. 

On pourrait aussi penser à Ulysse et son périple. Et pendant que j'irais de Charybde en Scylla, une improbable Pénélope vieillirait en une Ithaque de légende, peinant à défaire et refaire son éternelle tapisserie.

jeudi 4 avril 2013

L'effet Impulse sans Impulse

Vous vous souvenez ? Je parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaitre. Et même les moins de 30.




Ce soir, je sors du ciné (un navet) et je remonte le canal pour rentrer.

Tout à coup, je vois un mec à coté de moi qui me parle. J'enlève mes écouteurs et le mec me fait : "excusez-moi de vous déranger mais... j'étais assis au café, là, et... je voulais vous dire... vous êtes une très belle femme ! Voilà ! Alors j'ai fait comme dans les romans, j'ai couru, je vous ai rattrapé".

J'ai ri. J'ai dit merci. Le mec avait une bonne tête, un sourire un peu intimidé mais engageant. Et je me suis demandé s'il y avait un concours d'ouvert quelque part, vu que mercredi dernier il m'est arrivé un truc un peu similaire.

Le mec, encouragé par ma bonne humeur, a continué : "j'étais assis au café, là-bas, et je vais y retourner mais... Si... Je serais ravi de faire votre connaissance alors... si vous.. J'aimerais qu'on reste en contact !"

J'ai bien aimé ses hésitations, et ses élans soudains pour arriver à me dire ce qu'il voulait. C'était courageux, mais sans forfanterie. Il était dans ses petits souliers mais était décidé à aller au bout de son idée.

Je lui ai proposé de me donner son numéro de téléphone, et parce que je suis un peu garce, je fais : "vous avez de quoi me le noter ?" tout en avisant la mise du mec : pas une pochette, pas un blouson, il était sorti d'un bond du café, il y avait peu de risques qu'il ait un stylo et un papier dans la poche de son jean. Il fait alors une mine déconfite, mais se reprend : "vous avez un téléphone !" me répond-il en me montrant mon sac. 

Et pendant que j'enregistre son numéro sur mon smartphone :
- Vous êtes artiste ?
Il est marrant, piqué là, un peu raide mais le sourire aux lèvres. Il semble monté sur un petit ressort, il danse un peu, à la façon d'un enfant heureux de vous voir, qui sait qu'il ne doit pas tout de suite vous sauter dans les bras mais qui en meurt d'impatience.
- heu... un peu. En quelque sorte.
- Ah oui ? Vraiment ! Vous... ?
Ca a l'air de lui plaire. Mais je ne saisi pas bien en quoi cette question est importante pour lui.
- J'écris (oui, mon job qui me fait vivre, c'est beaucoup moins sexy, je me vends un peu. Bon. C'est grave ?)
- Des romans ? Des scénarios ? 
J'ai l'air de lui plaire de plus en plus. Il passe d'un pied sur l'autre, tout excité.
- Des romans.
- Ah ! Et bien vous voyez, aujourd'hui, c'est comme dans un roman !
Et, passant du coq à l'ane :
- Vous vivez avec quelqu'un ? Vous êtes célibataire ?
- Célibataire (Je le regarde par en dessous, me demandant jusqu'où va aller l'interrogatoire, tout en me concentrant sur mon smartphone rebelle)
La réponse semble le ravir.
- Vous avez des enfants ?
- Non. (et comme j'ai fini par arriver à enregistrer mon tout nouveau contact) La suite de l'interrogatoire sera pour une prochaine fois. A bientôt.

Je pense qu'il tenait absolument à garder le contact, à parler, pour ne pas me laisser filer. 

Et là, en écrivant, je me demande si nous nous sommes dit au revoir, je ne me rappelle pas, est-il possible que j'ai été si mal polie ? Cela semble bien peu probable, mais j'étais, disons... quelque peu surprise. 

Il semble bien que les choses changent et que, sans que je m'en rende compte, l'effet que je produis sur les gens évolue sensiblement. Je suis définitivement "in progress" !




mardi 2 avril 2013

"Les mots pièges qui alimentent les maux" par E.

E. m'envoie un texte à publier, réponse au billet sur les mots pièges.

E. et moi avons une façon très différente d'aborder le monde et la vie. Je n'en fais pas un casus belli. Je suis même intimement persuadée que c'est ce qui fait notre attirance mutuelle. L'inconnu est toujours plus désirable que le rebattu. Mais il y a avec E. un mélange étonnant entre le connu et l'inconnu : j'ai la sensation que personne ne me connait mieux que lui, et j'ai également la sensation de très bien le connaître, et en même temps j'ai la certitude que nous vivons dans des mondes totalement différents et assez impénétrables l'un à l'autre. Non, vraiment, je n'en fais pas un casus belli, mais ça n'est pas toujours confortable.


Les mots pièges qui alimentent les maux.

Il est intéressant de regarder en quoi les mots pièges le sont souvent par « omission » de les situer dans leur cadre de référence. L’exemple proposé par Marionde dans « les mots pièges » lorsqu’elle se sentait « mauvaise » alors que nous parlions de contamination de l’Adulte par l’Enfant illustre parfaitement ce constat.
Avant de poser une hypothèse sur ce qu’il s’est peut être joué entre nous, il me semble nécessaire de présenter quelques concepts d’Analyse Transactionnelle.
Les états du moi
Les termes Enfant, Adulte, Parent, avec des majuscules, sont des concepts qui appartiennent à une théorie psychanalytique établie par le psychiatre Eric Berne (né à Montréal en 1910, mort aux USA en 1970) entre 1950 et 1970. En s’appuyant sur le travail de Paul Federn (proche de Freud né à Vienne en 1871 mort à New York en 1950) et sur l’observation de ses patients, il conclut que la structure de la personnalité comporte des émotions des pensés et des comportements qui peuvent être :
  • Introjectés à partir des figures parentales : le Parent.
  • Congruents et en lien avec la réalité : L’Adulte.
  • Vestiges des vécus infantiles restés fixés pouvant apparaitre de façon non maitrisée dans la vie courante : l’Enfant.

Eric Berne modélise ce concept par trois cercles empilés verticalement et se tengentant

Il observe que certaines personnalités excluent pratiquement la totalité d’un état du moi, il nome cela l’exclusion. Chacun aura croisé dans sa vie une personne donneuse de leçons ne prenant jamais le temps de plaisanter, de se détendre, de faire l’amour,… Qui exclue presque totalement son Enfant.
De la même façon il observe que le Parent et/ou l’Enfant peuvent empiéter sur l’Adulte. C’est cela qu’il nome la contamination. Par exemple, une contamination de l’Adulte par le Parent peut correspondre à une personne qui rationalise et démontre une valeur parentale par l’utilisation de généralisations, de grandiosités, de minimisations,… « Les noirs sont bien montés », « les maghrébins sont des voleurs », « Les femmes ne savent pas conduire ». La contamination de l’Adulte de cette personne par son Parent la conduit à véhiculer ce genre de préjugés qu’elle estime comme une réalité dans l’ici et maintenant.
Bien entendu, la théorie de l’Analyse Transactionnelle comporte beaucoup d’autres concepts qu’il n’est pas nécessaire de développer ici. Je ne mettrais en avant que et les Scénarios de vie et les Jeux Psychologiques.


Le scénario de vie
Selon Eric Berne, l’enfant tout petit peut rencontrer des situations insatisfaisantes et répétitives pour lesquelles il n’est pas en mesure de donner un sens. Ces situations sont bien souvent générées par l’absence, les dysfonctionnements, les méconnaissances,… des adultes qui s’occupent de lui. Pour supporter la situation, l’enfant prend des décisions qui restent imprimées dans son inconscient et qui conduiront ultérieurement sa vie d’adulte.
Il faut prendre en compte que ces décisions prises avec les moyens dont dispose un enfant de cet âge (très précoce), sont souvent inadaptées aux situations rencontrées par l’adulte qu’il deviendra. Cet adulte n’aura généralement pas conscience du mécanisme qui le pousse. C’est ainsi par exemple que certains reproduisent toute leur vie les mêmes situations d’échec.

Les jeux psychologiques
C’est avec les jeux psychologiques et son ouvrage : « Des jeux et des hommes » qu’Eric Berne et l’analyse transactionnelle ont été connus du grand public à la fin des années 1960. Le jeu est une séquence de vie qui se joue à deux ou plus et qui conduit le perdant à ressentir un malaise plus ou moins profond suivant l’intensité du jeu.
  • Le joueur A identifie inconsciemment un point faible chez B.
  • A lance un appât souvent anodin, B s’en saisit (c’est son point faible), il y a plusieurs échanges entre A et B.
  • Il y a ensuite un coup de théâtre initié par A.
  • B ressent un gros malaise.
  • A et B tirent leurs bénéfices (négatif pour B, négatif ou ponctuellement positif pour A)
Les querelles de couples qui se jouent pendant des années sur les mêmes sujets illustrent parfaitement ce qu’est un jeu dans la vie de tous les jours.
Les jeux mis bout à bout, tout au long de la vie permettent de maintenir en place le scénario et de ne pas remettre en cause les décisions prises par l’enfant.
Bien entendu, il y a en arrière plan de ce mécanisme une grande part d’inconscient.


Une fois ces trois concepts posés, comment interpréter la perception de Marionde qui se sentait « mauvaise » lorsque nous parlions de la contamination de mon Adulte par mon Enfant ?
Marionde connait très bien l’Analyse Transactionnelle et devant son incompréhension du terme « contamination » je lui ai rappelé ce qu’Eric Berne mettait derrière. J’utilisais ce terme pour parler de difficultés qui touchent à mon enfance et qui donc, me sont propres. Alors, pourquoi cette perception ? Pourquoi Marionde se voit comme « un toxique narguant un pauvre abstinent » ?
Je formule l’hypothèse qu’il s’agit peut être de l’amorce d’un jeu psychologique entre nous. Cette réponse au texte «Les mots pièges » est peut être une façon pour moi de « saisir l’appât ». Nous verrons la suite que nous donnerons à cette séquence de vie.
Si l’hypothèse ci dessus est exacte, Marionde et moi pouvons nous interroger en quoi ce jeu vient renforcer et inscrire dans la durée nos scénarios respectifs.

Bien à vous tous
E