samedi 23 février 2013

Les mots pièges

Les mots (et les concepts sous-jacents) m'ont sorti de mon désordre. Nommer, catégoriser, m'a permis de donner un sens aux évènements, et surtout des leviers d'action. 

Nommer E. comme manipulateur, par exemple, m'a permis de comprendre la confusion et la paralysie dans lesquelles j'étais plongée, puis m'a donner les outils pour me protéger. Et même, ce mot, et ce que j'en apprenais, m'a donné l'autorisation de me défendre. 

Mais les mots sont parfois piégés. Et quand j'ai dit à mon psy que l'analyse transactionnelle était un langage commun bien commode avec ma psy précédente, il m'a fait remarquer (les psy traditionnels ont une aversion courante pour les techniques diverses des psychothérapeutes, y compris l'AT) que le langage commun, les mots prêt à l'emploi, étaient souvent des inhibiteurs d'émotions. Dans un processus que je connais par coeur, j'ai commencé par me sentir fragilisée : ce mec voulait-il dire que tout le travail que j'avais fait depuis trois ans était à foutre à la poubelle ?

Bien sur que non. 

Il y a des situations où simplifier sauve. Où le "bon" mot donne l'énergie qui manque pour survivre. Quand on est en danger de mort, ce n'est pas le moment de se demander ce qui pousse votre agresseur à vous viser avec son pistolet ; quand on pense tous les jours au suicide le plus urgent n'est pas d'aller sonder les misères de sa petite enfance, bien au contraire.

En écoutant Monsieur Psy, j'ai eu rapidement la sensation que des champs nouveaux s'offraient à moi. Sa façon de me parler (ou ma façon de l'entendre ?) m'ouvrait vers des territoires non pas inconnus, mais que je ne savais pas où déposer.

C'est ainsi que, m'a-t-il dit, ma préoccupation concernant mon sentiment d'incompétence à parler, à dire des choses importantes pour moi, allait dans deux directions. Tout d'abord, l'intérêt que pouvait avoir ma personne et l'importance de ce que j'ai à dire (Suis-je importante ? Ne passe-t-on pas la majeur partie du temps à dire des choses "inutiles" ? Quelle discussion avait une réelle importance pour moi ?). Et ensuite, deuxième direction, quelle est la place de l'humain dans le monde, quelle importance a sa vie et sa parole au regard de la mort et de l'univers.

Wahouuu ! Tout à coup, mon souci très circonscris me semblait-il (à savoir mon impression que ce que j'ai a dire n'a aucune sorte d'importance) rejoignait une angoisse métaphysique que je triturais depuis un certain temps, par un mécanisme magique que je ne m'expliquais pas encore. La surprise n'a eu d'égale pour moi que le soulagement que je ressentais alors : je n'étais plus seule avec mon angoisse, j'avais trouvé à qui parler.

Avec Madame Psy, les choses étaient toutes autres. Avec elle, je réduisais les têtes. La mienne et celle des autres. J'apportais mes méandres et elle les faisait passer dans l'entonnoir, bien en ordre. Au prix d'une simplification parfois un peu excessive à mon goût. J'avais souvent l'impression, à la fois de trouver une aide et le courage pour avancer, et de sacrifier une part importante de moi. Je ne savais pas bien laquelle. Ni si c'était une "bonne" part ou une "mauvaise". Mais quand on est perdu en pleine jungle, sans eau ni pain, il faut bien trouver une serpe pour tailler une route, on fera de la botanique plus tard.

Lors d'un déjeuner avec E., nous avons convenu que notre "nouvelle" relation était tout de même bien ambiguë. Il ne nous échappait pas que, derrière les verres et les déjeuners, un désir autre qu'amical s'exprimait. Une amie a qui je racontais la chose m'a fait remarquer que, justement, il n'y avait pas d’ambiguïté puisqu'on la reconnaissait ouvertement. Comme quoi, nommer quelque chose peut juste servir à dire le contraire.

E., féru d'analyse transactionnelle (AT), m'a dit : "notre parent est contaminé par notre enfant". Le mot "contamination" m'a fait bondir. Je ne me sentais pas malade, merci. Et je refusais de voir ses sentiments pour moi (et moi-même par rebond) comme une maladie, comme une chose mauvaise qui "contamine". J'aurai tout aussi bien pu lui en remontrer et lui balancer que ce que je voyais surtout c'était une contamination de son enfant libre par son parent normatif. Mais l'essentiel n'était pas de se battre avec les mots de l'AT. L'essentiel était pour moi d'entendre la peur que E. ressentait. La même peur qui lui avait fait m'envoyer un mail où il me disait se sentir comme un alcoolique devant un bar bien fourni, alors qu'il ne voulait pas retomber dans la compulsion sexuelle. Je me suis vue comme un toxique narguant un pauvre abstinent. Puis j'ai compris sa peur. Et j'ai compris qu'il me refilait le bébé : lui ne me désirait pas bien sur, j'étais la ville tentatrice. Le pervers c'était moi, pas lui. Clivage, déni, expulsion sur l'autre. 

Pour moi, l'amour n'a jamais été une maladie. Pour lui toujours. 20 ans de thérapie n'y changeront peut-être rien.

Pour autant, je rejoint E. sur la conclusion : pas de sexe entre nous. Mais je ne ressens pas de peur, pas de dégoût, pour ce que je ressens. J'ai cherché à m'approcher de ma pensée en disant à E. que le fantasme et la vie pouvait être distincts (et le devait dans notre cas), mais que ce n'est pas parce que ca ne se rejoignait pas que c'était décevant. Le fantasme, comme la lecture finalement, multiplie les vies : on vit quelque chose en fantasme, et on vit en vrai autre chose, différent mais pas moins bien. Tout le problème est de gérer la frustration pour mettre le fantasme à sa place et profiter pleinement de la vie, tout autant que du fantasme.

Dans Vérités et mensonges de nos émotions Serge Tisseron utilise deux autres mots pour expliquer celà : il y a ce qu'on désire et ce que l'on souhaite. Deux choses à ne pas confondre, mais dont aucune n'est "mal".

Tisseron explique aussi comment le terme de "résilience" est piégé, comment il a pris des connotations morales qui le rende glaçant et in-opérationnel du même coup, voire dangereux. Des termes, apparemment bien commodes, ne font que réduire le vécu et caricature la vie émotionnelle, au point de dénaturer l'humain.

Bon nombre de termes utilisés en psychologie, décrivant au départ des processus précis, mais devenus fourre-tout, sont des bombes anti-personnelles. 
"Contamination" en est un. 
"Passage à l'acte" aussi tant il est devenu évident que ce passage à l'acte ne peut être que négatif. Pourtant, quand on a le cul entre deux chaises, ou les deux pieds dans le même sabot, on a tout intérêt à "passer à l'acte", à faire quelque chose. 
"Manipulateur" en est un troisième, puisque la peur de l'autre s'érige alors en principe quand c'est le soin de soi qui devrait l'être. "Amour" en est finalement encore un, puisque le lien (avec lequel on confond souvent l'amour, mais s'il n'y a pas d'amour sans lien, il y a des liens sans amour) est parfois source de bien des désagréments.
Mais c'est aussi le cas d'"oeudipe", dans la bouche de ma mère. Ce mot, avec la définition qu'elle lui donnait, et toutes ses connotations infamantes. Il n'est pas anormal qu'une petite fille soit un peu amoureuse de son papa, m'a dit E. Pour n'importe quelle petite fille non, mais pour celle que j'ai été, si ! C'était même la source de tous mes problèmes et de tous les problèmes relationnels entre mes parents, dixit ma mère. 
Pour autant, ce que ma mère livrait, c'était sa propre honte d'aimer son père à elle. Sa propre culpabilité d'être l'enfant préféré de son père, et peut-être même un peu plus, la petite fille née juste après guerre, l'enfant de l'espoir et qui devait rendre le sourire à son père. Elle ne disait pas que des conneries, mais elle se trompait de destinataire. Elle aussi, me refilait le bébé. 

Mais alors, que dire ? Avec quels mots ?








mercredi 20 février 2013

Moi et moi

Je prépare mon voyage à Prague. J'y vais seule.

Pendant longtemps, j'ai peuplé mon insupportable solitude de revenants. 

En premier lieux, je ne vivais pas sans ma mère. A tout instants, ma mère commentait ma vie, me soufflant les répliques, et ce que je devais en penser et en sentir. Je vivais sous le regard de ma mère, et quand je trouvais quelques choses de... de.... Dis moi maman, c'est comment ? Et je l'entendais me dire que c'était beau, alors je ressentais le beau. Que c'était triste, alors je ressentais le triste. Mais le plus souvent c'était très énervant pour ma mère, alors je ressentais l'énervant. Ou encore, presque aussi souvent, c'était bien honteux pour ma mère, alors je ressentais la honte.

J'ai eu beaucoup d'"amis" intérieurs, qui me voulaient plus ou moins de bien.

Les hommes que j'ai aimés ont été de ceux-là. Même en leur absence, ils étaient dans ma tête (pas tous en même temps, hein). Ils étaient bien plus confortables que ma mère, dans le genre "amis" intérieurs. Bien plus bienveillants.

Je leur parlais. Pas toujours à voix haute. En ballade, ou en train de cuisiner, ou choisissant un livre, je partageais avec eux mes surprises, mes émerveillements, mes doutes, mes peurs, mes tristesses. Ils me répondaient, me guidaient, me donnaient leur avis. J'étais à la fois moins seule, et plus seule. Parce qu'un "ami" imaginaire, il ne peut pas vous prendre la main.

Et puis, il y a autre chose. La joie, et la beauté des choses, s'en trouvent amoindries. Parce que ce que je rêvais secrètement, c'est de ne pas être seule avec tout ça. Et même en peuplant ma tête d'"amis" intérieurs je savais bien que j'étais seule.
En revanche, la peine, le tristesse, avait quelque chose d'insondable. Doublée par la solitude qui était elle même en écho : j'étais doublement seule : réellement, et de sentir combien mes "amis" intérieurs me manquaient. Cet homme, dont j'avais la sensation qu'il m'accompagnait partout, il n'existait tant, il était à ce point envahissant, que parce qu'il était absent.

Je n'avais plus l'age de croire complètement à un ami imaginaire.

E. m'a ainsi accompagné, en passager clandestin, et à l'insu de son plein gré, à Florence, il y a 3 ans. A vrai dire, à l'époque, il était partout avec moi, jusque sous les corps de mes nombreux amants de fortune.

Depuis, je ne suis pas repartie en voyage.

Ma mère m'a quittée. Un jour, j'ai réalisé qu'elle n'était plus dans ma tête, ou alors beaucoup plus rarement. La séparation a été vraiment consommée quand je lui ai envoyé ma lettre de rupture, il y a presque un an.
La honte envahissante m'a quittée en même temps. De même que la colère perpétuelle de ma mère. Ma mère est une femme en colère.

Je l'entends parfois encore, en de rares occasions, et alors mon sentiment de gêne est immense. 
Le souvenir récent le plus cuisant date du vendredi où j'ai bu un verre avec E. Je parlais de ma mère, et j'avais ses intonations, ses mimiques. Je la sentais en moi.  E. m'a fait remarquer mon index pointé, le doigt accusateur, le doigt de ma mère. Je n'ai ce geste que lorsque je suis elle. Et E. le sait.
Mais j'ai aussi été ma soeur. J'ai parlé d'elle, et j'entendais sa voix à la place de la mienne. J'avais son petit tic, avec la bouche, pour cacher ses dents. 
Toute mon attention était tendue vers le but de me dire moi, même avec leurs voix à elles. Ne pas m'oublier derrière ces envahisseurs.

Se débarrasser de ses "amis" intérieurs, c'est bien, c'est bon, ça libère la vie. Mais il y a encore mieux.

Cette après-midi, je suis sortie de la BNF au coucher du soleil. Entre les quatre tours gigantesques, sur le parvis de bois, j'ai été arrêté par une image superbe. Dans une clarté hivernale, à la fois froide et brillante, les tours de la BNF, le mk2 entre les deux, quelques bâtiments d'habitation tout aussi modernes, et, pointant gaillardement au milieu de tout celà, illuminé par la lueur du couchant, un clocher ; une église en pierre de taille, quelque chose d'ancien, d'à la fois incongru et essentiel au milieu de toute cette modernité, et qui se découpait sur le disque éblouissant du soleil.

Alors, j'ai ressenti la beauté fragile de cet instant. J'étais seule, et pourtant... A l'intérieur de moi, il y avait quelqu'un, quelqu'un à qui j'ai dit : "regarde ca !" et qui m'a répondu : "Arrête toi et profite !" Il y avait quelqu'un en moi, qui se réjouissait avec moi. Et ma joie alimentait la sienne en retour. C'était comme un jeu de ping-pong, qui nous faisait un bien fou à toutes les deux, qui multipliait ma joie, mon bonheur d'être en vie, d'être là, devant ce spectacle. 

J'étais seule avec moi-même. Et j'ai compris que j'étais en moi depuis un moment déjà, sans que je m'en sois vraiment rendu compte. Peut-être que j'avais pris la place de mes "amis" au fur et à mesure de leur disparition. J'avais pris ma place en moi.

La solitude n'est pas le vide.

Je sais qu'à Prague, je n'y serai pas seule. Je n'y serai pas avec des "amis" imaginaires, me gâtant mes joies et accroissant mes tristesses et ma solitude. J'y serai avec moi. Et je suis prête à me faire voir de belles choses.








vendredi 15 février 2013

Avis de recherche


Je me rends bien compte que je vous ai un peu arnaqué sur les bords.

J'ai créé ce blog pour vous raconter mes turpitudes sexuelles et, finalement, je n'ai, dès lors, eu de cesse d'arrêter mes activités.
Que n'ouvrais-je ce blog à ma grande époque ?! Quand je faisais le trajet entre Orléans et Paris juste pour une après-midi en club, un jour de grève presque totale (il y a de la chance pour la canaille : j'ai attrapé des trains, à l'aller et au retour, dans des délais inférieur au quart d'heure. A faire pâlir les pauvres voyageurs qui moisissaient dans les wagons depuis des heures, suants et éructants pendant que je me pavanais dans ma tenue de libertine, fraîche, détendue et les joues roses).

Mais, tout passe, tout lasse. Je n'ai plus envie de parties de jambes en l'air dans des saunas avec des inconnus dont le prénom ne me semble pas nécessaire. J'ai encore moins envie de me colleter à des hommes dans des rendez-vous à deux. Je m'y ennuyais finalement, dans le meilleur des cas. Dans le pire je m'amourachais de types improbables, jusqu'à mon écœurement.

Je tripote parfois les poils qui désormais poussent sur ma chatte. Je suis curieuse de voir ce que cela donnera quand ils seront à bonne taille, une taille courante disons. Je suis curieuse de les voir boucler comme il y a plusieurs années, avant que je n'adopte le ticket de métro puis l'épilation intégrale. Je les regarde pousser comme j'ai regardé pousser mes cheveux ces dernières années, après avoir eu des coupes en brosse : avec curiosité mais sans hâte excessive.

J'ai su dépasser ce qui me lançait dans cette course un peu folle : la peur du vide sidéral de la solitude, de l'abandon. Je ne me sens plus perdue dans le vaste espace. Je n'ai plus besoin de chercher frénétiquement le contact, même décevant, même illusoire.

Je me demande parfois si le problème n'est pas seulement déplacé.

J'ai quelques amies et amis avec qui j'ai appris à tisser petit à petits des liens qui ne se dissolvent pas au premier mouvement de peur et de malaise.
J'ai appris à renouer le contact avec des personnes perdues de vue depuis quelque temps, plutôt que de battre en retraite.
J'ai surtout compris que beaucoup d'humains sont prêt à me voir, et me revoir, avec plaisir, et sans contre partie. Car si le sexe a beaucoup occupé ma vie, c'est que je l'ai longtemps utilisé comme moyen d'échange, persuadée que je n'avais rien d'autre à offrir que mes services sexuels.
Mieux encore. Je sais que j'ai eu, et que j'ai, une place importante dans la vie de certains, juste parce que je suis celle que je suis.

J'ai mis, et je mets, beaucoup d'énergie et de soin à construire tout ca. Parce que c'est primordiale pour moi.

Je sens, parfois, que je devrais construire avec autant de soin l'amitié qui me lie à... moi-même. Je ne suis pas toujours ma meilleure amie, et c'est un tort. Mais je me suis donné quelques rendez-vous prochainement, et je m'offre même une escapade à Prague bientôt. Sans compter que je me suis à nouveau emmené chez le psy.

Mais, insensiblement, le spectre d'un avenir tout tracé noirci un peu mon ciel. Peut-être suis-je vouée à ne plus connaître l'amour. Et alors, peut-être que tous mes efforts pour sortir du schéma familial sont voués à l'échec.

Vais-je finir comme ma mère ? Un jour, à bout de patience, vais-je choisir un compagnon indigne de moi, me déchirer dans une histoire sordide, me débattre pendant longtemps pour redresser la barre, refuser l'évidence et vivre dans une maison coupée en deux, avec au milieu la rancœur, la haine et la peur ?

A l'inverse, vais-je finir comme mon père ? Ayant renoncé à l'autre, à tous les autres, préférant l'isolement à l'espoir insensé et toujours déçu, vais-je finir enfermée dans mes rêves, au milieu d'un capharnaüm en travaux aussi encombré que mon cœur sera vide ?

Car, étrange paradoxe, si la thérapie m'a rapprochée du monde, des autres, et de moi, elle me laisse également seule dans mon étrangeté. Quel homme (ou femme, d'ailleurs, après tout) voudrait de moi, de cette femme qui ne veut rien de ce que les autres veulent ? Dont les envies et les désirs ne correspondent à rien de prévu et de prévisible ?

Et moi, quel homme (quelle femme) accepterai-je au long cours ? Existe-t-il, cet humain autonome mais proche ?

dimanche 10 février 2013

Vous reprendrez bien un peu de psy ?

Vous l'avais-je dit ? J'ai trouvé un nouveau psy.

La première fois que j'ai mis les pied chez lui, outre que je me suis dis in petto qu'il était plus joli garçon en vrai que sur la photo du net, je l'ai senti tendu, pas à l'aise. 
Un brin de rigidité accompagnait son serrage de pince. Et si, d'un revers d'oeil dont j'ai le secret, je le voyais sourire avec amusement en me regardant ôter, avec une lenteur surement étudiée, mes gants, mon manteau, mon écharpe, mon bonnet, poser mon sac, poser mon manteau et le reste sur mon sac, et enfin m'asseoir à coté de tout ça, lui, en s'asseyant en face de moi, s'est en quelque sorte roulé en boule dans son fauteuil de scénariste. Essayez, vous allez voir, c'est possible mais pas vraiment confortable. J'ai trouvé la pose incongrue. Il croisa les mains, sans me regarder, s'enfonça encore un peu dans son fauteuil comme pour prendre son élan et, d'un bond, m'a sorti d'une voix qui m'a semblée peu sûre, et en levant finalement les yeux vers moi comme à regret : "alors, qu'est-ce qui vous amène ?"

Pauvre homme ! Il me peinait, et je me suis fixé une mission : le mettre à l'aise. Ni plus ni moins.

Je suis vite passée sur ce qui m'amenait. C'était tellement clair, n'est-ce pas, que cela ne nécessitait pas de longs développements, et que j'ai loupé le mot essentiel : incompétence.  Ce qui m'amenait, c'était qu'en bout de tout, autant au boulot que dans ma vie privée, le sentiment d'incompétence et de nullité me paralysait. Mais donc, j'ai oublié celà, je me suis contentée de citer deux thèmes : le boulot, les hommes. Sans précision.

Puis, toujours souriante, j'ai opiné avec vigueur à tout ce qu'il a dit. Je me suis montrée un brin admirative de son parcours (puisqu'il m'a indiqué son cv de psy et les ressors de sa démarche). Je l'ai invité à préciser ceci ou cela, l'encourageant à aller au bout de son idée. Cette première consultation était gratuite. Heureusement, sinon j'aurai payé 50 euros pour aider mon psy.

Enfin, c'est ainsi que je l'ai vécu, et je vous la raconte avec un peu de caricature pour vous faire rire. Car c'est risible.

A ce moment là pourtant, le risible de la situation m'a un peu échappé. J'ai juste noté que les choses semblaient quelque peu inversées, et que avec ma psy précédente les choses ne se passaient absolument pas ainsi. Mamie Nova, jamais je n'ai eu envie de l'aider.

Hier soir, en sortant du boulot, j'ai trouvé un sms de E. Il passait dans le coin et me proposait un verre. Ah ! Enfin un peu de spontanéité ! me suis-je dis. Même si, on ne se change pas si facilement, je n'étais pas recoiffée, remaquillée, rafraîchie, habillée pour l'occasion, et que je n'avais pas révisé avant l'interrogation. Ne barrez aucune mention, elles sont toutes utiles.

C'est donc devant un thé à la menthe que E. me fit remarquer que, puisque je parlais de la différence entre mes deux psy, et de leurs approches différentes, et de ma sensation d'être plus à l'aise avec lui qu'avec elle, et que je me demandais tout haut si ça n'était pas une question d'age, mon sémillant nouveau psy pouvant être le fils (et peut-être le petit fils) de Mamie Nova, E. me fit donc remarquer que le nouveau psy était un homme, Mamie Nova une dame, et que donc je projetais sur lui tout autre chose que sur elle. Biiiip ! Le buzzer dans ma tête a sonné, et pendant que je me défendais un peu (je n'avais jamais vue ma mère dans Mamie Nova, expliquais-je) des rouages ont tournés de quelques crans dans ma cervelle.

Je parlais aussi de L. (qu'est-ce que j'ai parlé vendredi soir ! Un vrai moulin à parole !). 
J'expliquais les derniers rebondissements (ah ! Oui ! Derniers ! Fini !) - rebondissements qui vous sont inconnus, enfin, les petits malins auront peut-être lu entre certaines lignes - et E. me dit que j'avais fait comme ma mère avec son dernier mec (car j'ai aussi parlé de mes parents, de ma soeur, et que sais-je encore !). Effectivement, comme ma mère avec son jules, j'avais couru au devant de L. en détresse. J'avais voulu l'aider a se sentir mieux.

Cependant, je ne découvrais pas mes tendances au sauvetage des désespérés. Et qui a tenté un jour de sauver quelqu'un qui se noie a su de quoi je parle. Mais il n'est plus de ce monde pour nous le dire : il a coulé avec la victime. Naufrage pour tout le monde.

Je repensais à mon psy et ma mission pour le faire se "sentir bien". J'acceptais de considérer que, peut-être, je projetais sur lui l'image paternelle. 

Je repensais au départ de mon père pour l'étranger lorsque j'avais 14 ans. A mon sentiment de culpabilité face au soulagement que je ressentais alors (oui, je n'étais même pas en colère de voir mon père partir pour une durée indéterminée, ni triste, juste soulagée), et ce sont surtout les mots de ma psy à l'époque qui me revenait comme un écho  : "oui, quel soulagement ! Vous n'aviez plus à vous occuper de lui !"

Quelques heures plus tard, le tableau, tout à coup éclairé sous un nouvel angle, prenait son sens : j'avais désespérément tenté d'aider mon père, ce lâche paranoïaque, ce phobique social, qui se sentait si mal partout et avec tous. 

Sans jamais y arriver. 

De quoi se sentir incompétente pour le reste de ses jours.

mercredi 6 février 2013

Le bonheur, c'est tout de suite


J'ai enfin réservé un séjour à Prague, alors que j'avais perdu l'entrain de le faire.

J'aime à nouveau marcher dans Paris, sentir mes jambes en mouvement, mes pieds s'appuyer sur le sol, mes épaules se balancer au rythme de la musique diffusée par mes écouteurs.

Je regarde les gens, et j'aime à nouveau toutes ces têtes si variées. J'aimerais les prendre contre moi quand ils tombent de sommeil dans le métro. J'aimerais essuyer la larme que j'aperçois au coin d'un oeil, déchausser les femmes qui souffrent dans leurs godasses malcommodes et masser leurs pieds, tout doucement. 

Je regarde le ciel, et j'aime les nuances de bleu et de gris. Assise dans un café, je bois un thé fumé et j'ai tout à coup l'impression de boire les nuages, d'aspirer le gris, et toute la fumée, et le ciel, et le monde, à petites gorgées. Le monde est en moi et je suis le monde. Et ca fait un bien fou, d'être là, à ma place, parce que ma place est partout.

Dans les couloirs du métro, je suis une particule parmi les particules, et je file au même rythme. Je suis une parmi les autres, au même pas, au même souffle, intriquée dans le flux qui palpite dans les veines et les artères. Je suis comme ces gens, ils sont comme moi, dans le même mouvement, la même vie. Et j'aime ça.

Dans la rue je veux tout voir, tout sentir. Mes yeux virevoltent, captent inlassablement. Les droites, les perspectives vertigineuses, les angles vivants et les angles morts, les découpes des immeubles sur le ciel, sur les autres constructions ; les gens et leur sillage comme des queues de comètes, leur nez souvent étranges, leurs regards parfois éteints, parfois brillants comme le mien ; les blocs alignés des cheminées ; les dentelles des balcons en fer forgés ; les couleurs des grafs, des tags, des habits, des sacs, des vitrines ; les damiers des fenêtres, et quand il fait nuit, comme des touches de piano qui vibrent en sourdine, mes yeux appuient sur une, sautent à la suivante, il faut éviter les cases noires. Un, deux, trois, soleil.

Non, je ne suis pas amoureuse. Justement pas. J'ai retrouvé le plaisir de sentir en moi cette balle très dure et très solide, ce centre que je nacre comme une perle, dans mes grandes profondeurs, et qui résiste à la houle et aux tempêtes de surface.

Il y a un mois je suis sortie de prison, avec l'impression de laisser des prisonniers derrière leurs barreaux, et un peu de culpabilité.

Mais aujourd'hui, je vois les choses de plus loin, de dehors. Et ce que je vois, c'est un jeu de chaise musicale. Si on arrive à faire rentrer quelqu'un en prison, on gagne des points de vie. J'ai échappé à la prison, au piège tendu. Et je vais m'attacher à ne plus jamais laisser un prisonnier tenter de gagner sa joie sur ma tristesse, son bonheur sur mon malheur.

Ma joie de vivre, mon bonheur de juste sentir la vie en moi, et autour de moi, je ne laisserai plus personne me la prendre. Plus personne ne me videra pour se remplir.