mardi 26 mars 2013

Petits déjeuners à Prague


Prague, c'est très bien. J'ai beaucoup aimé. Même seule. En fait, je crois bien que j'ai aimé Prague parce que seule. J'ai, à vrai dire, un rythme à moi. Plutôt placide. Un brin contemplatif. La compagnie en voyage m'agite, voire m'agace.

Où j'ai dormi


Le petit déjeuner à l'hôtel est un moment privilégié pour observer les couples. Et constater que, décidément, on est mieux seule que mal accompagnée. Et même, mieux seule qu'accompagnée tout court.

En arrivant dans la salle à manger de l'hôtel, j'avise un mec assis tout seul. C'est rare les gens qui voyagent tout seul. Un quelque chose m'agace chez ce type. La trentaine veule, il est affalé dans des vêtements informes et sans couleurs bien déterminées. Son regard peine à se fixer, il papillonne à la recherche d'un but, d'un point de fixation, qui arrive sous la forme d'une demoiselle de son age mais aussi raide qu'il est mou. Elle ne descend pas les trois marches qui l'amèneraient dans la salle à manger, non. Elle hèle de loin et de toute sa hauteur son caniche compagnon, d'une voix glaciale et en agitant un index sans appel. Elle articule quelque chose. Le caniche secoue la tête : il ne comprend pas. Elle lève les yeux au ciel, s'agace. Il se lève et trotte, l'échine basse. Il se tient cependant à bonne distance de sa maîtresse, la mine et la posture serviles. D'ailleurs elle a reculée lorsqu'il s'est approché. Pour éviter de le toucher ou le faire avancer encore : vient mon toutou, viens, mais bats les pattes !
Elle lui donne ses ordres : « fait moi une tasse moitié café moitié chocolat, faut que je vois un truc à la réception ». Il obtempère et va tracasser le distributeur de boissons chaudes. Lorsqu'elle finira pas s'asseoir du bout des fesses en face de lui elle déclarera d'un ton pincé que ça aurait été meilleur chaud.

Ils arrivent à la queue leu leu, elle devant, lui derrière. Ils suivent le même chemin devant le large et copieux buffet. Elle s'approche des viennoiseries, il fait de même. Mais elle découvre la vaisselle non loin et se détourne de son but premier pour aller se servir un verre de jus d'orange, il fait de même, dans son sillage, à quelques secondes de distance, d'un geste identique. Elle retraverse vers les viennoiseries et le pain, son homme sur ses traces. Elle opte pour deux tranches de pain aux céréales qu'elle pose sur une assiette. Son type hésite, se désuni. Sa main s'envole comme à regret vers le pain aux céréales mais son regard couve les viennoiseries. Dans un mouvement tournant, il attrape une tranche de pain et choppe au passage, comme si de rien n'était, une poignée de mini-viennoiserie. Mais il a pris du retard, sa compagne a filé à l'autre bout, non sans prendre note de la désertion de son monsieur. Dans ses yeux, le contentement le dispute à l'agacement. Elle est à la fois contente que son mec prenne un peu les choses en mains, qu'il montre de l'initiative, selon ses capacités. Et en même temps il l'agace à ne pas faire ce qui est prévu. Du coup, elle ne va pas le rater : il sait combien de calories il y a dans ces petites saloperies ?

Cimetière juif et sa mangeoire à oiseaux


Ils sont vieux, ils doivent fêter leur noces de marbre ou de je ne sais quel truc solide. Sans un mot, et même sans un regard l'un pour l'autre, sans concertation, lui s'occupe de griller un gros tas de tranches de pain de mie pendant qu'elle remplie des tasses et des verres. Dans un ballet singulier, où chacun semble pris dans sa propre musique, ils vont et viennent comme s'ils n'appartenaient pas à la même dimension, mais avec un but commun : rapatrier sur la table tout un tas de truc et de machins, par série : elle les confitures, lui les assiettes de charcuteries, elle les liquides, lui les tartines. Ils finissent par s'asseoir l'un en face de l'autre, toujours sans un regard et sans une parole, comme deux fantômes. Il plonge dans la tasse de café que vient de sucrer la femme. Elle attrape avec voracité deux tranches de pain grillé qu'il vient de poser sur la table. Et si, un matin, monsieur avait envie d'un thé et madame d'un pain au chocolat ? Un monde clos et rance s'écroulerait pour cause d'air frais ? Les noces de marbre voleraient en éclats de rage ?

Ils sont quatre, deux couples interchangeables. Il sont beaux, ils sont minces, ils ont des lunettes discrètes mais néanmoins coûteuses qui corrige leur presbytie. Ils défilent et virevoltent dans la salle à manger. Les dames exhibent leur formes élancées dans des jeans moulants mais quand même un peu usés. Les hommes ont un pull noué autour de leurs épaules contrastant savamment sur la polaire. Tout le monde porte des chaussures de marche à crampons, des Aigles. La cinquantaine conquérante, ils regrettent que tout ne soit pas bio sur le buffet, mais garde un sourire zen aux lèvres. Ils paradent. Je suis au spectacle. Ils sont beaux, ils sont riches, ils sont heureux ou font semblant de l'être, ils sont écologiques, ils sont équitables, et ça doit se savoir !

Place de la vielle ville, à quelques heures du départ

Bref, chaque journée à Prague commençait par un moment d'épiphanie : je me frottais les mains d'être seule, merveilleusement tranquille.

1 commentaire:

  1. kkarl77 - charnelle30 mars 2013 à 15:43

    Très jolie analyse des relations de couples, au travers un café et un croissant.

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