mercredi 18 juillet 2012

Partir, c'est mourir un peu (1)

Je suis comme les chiens qui s'attachent aux gens, et se laissent mourir sur une tombe, pas comme un chat qui miaule de désespoir quand on le change de maison.

Je suis sur le départ, plus tout à fait ici, pas encore là-bas. Je quitte Orléans pour Paris.

Deux lieux me manqueront ici. Un café littéraire dont le patron fait presque tout le sel, et un sauna. Mais des lieux il y en a tant que le manque se comblera vite.
G., en revanche, me manquera. Il me manque déjà. J'ai les yeux qui piquent et des larmes qui coulent, jusque dans ses bras.

Je quitte un homme en couple, un homme qui, tous les jours, et depuis longtemps, fait le choix de perdre ses maîtresses les unes après les autres, plutôt que de perdre sa femme, sa maison, sa vie à l'apparence si lisse. Quelque part en moi il y a peut-être cette colère et ce mépris souverain que m'inspirent habituellement la lâcheté des hommes. Mais pour l'instant, il y a surtout la tristesse. Car G. n'est pas un homme, un parmi les autres, il est G. Et le quitter me fait mal.

Mais à tout prendre, je me demande qui quitte qui. G. m'a toujours quitté. Et quitté en vitesse la plupart du temps, pressé par l'heure qui tourne, par la trouille de se faire prendre. Aujourd'hui, c'est encore lui qui me quitte, en ne s'autorisant pas à vivre selon ses désirs. Ou ce qu'il dit être ses désirs.

Avec les hommes en couple, il y a toujours un soupçon dans l'air. S'il est si bien avec moi, pourquoi détale-t-il au sifflet vers son panier et sa gamelle quotidienne ? C'est peut-être encore et toujours l'histoire du chien et du loup. G. préfère l'attache et la marque pelée du collier, à la liberté famélique du loup. Mais ne serait-ce pas aussi mon incomplétude qui serait en cause ? Peut-être ne serais-je tout simplement pas si désirable que cela ? Peut-être ne serais-je, tout simplement, pas à la hauteur ? 

En vrai, jamais je ne serai la femme de G. Pas plus que je n'aurais voulu être celle de E., ni de A. dont j'ai parfois eu l'intuition qu'il cherchait la remplaçante de sa deuxième femme. Un clou chasse l'autre. 
Jamais je n'offrirai à G. cette doucereuse vie de couple, entre projet maison et fêtes de noël en famille. J'étouffe littéralement à chaque évocation de cet enfer. Or, pour G., n'est-ce pas l'essentiel ? Une compagne qui lui dit quoi faire, et quand, et où, pour faire reculer le monstre qu'il croit être en lui. G. circonscrit son monstre, son lui-même, grâce aux barrières du couple. Barrières que je ne lui poserai jamais, sauf à dépérir moi-même.

J'ai murmuré à l'oreille de G. : "à un moment, il faut arrêter de vivre la vie d'un autre"". Plus tard, remis de sa surprise et de son trouble, il m'a demandé comment je savais. Comment je savais qu'il vivait la vie du compagnon de sa femme, qu'il tentait désespérément de se couler dans ses désirs à elle, au mépris des siens. Comment pouvais-je savoir que vivre une double vie c'était se condamner à n'en vivre aucune, et se condamner à la solitude de l'insincérité ?

Je rêve parfois (immodeste je suis) d'être celle qui aura fait déclic, celle après qui G. décidera de vivre sa vie, et d'affronter cet autre qui lui fait si peur : lui-même.
Je connais ce vertige, cette peur du vide, et cette terreur de lâcher ce qu'on connait si bien et nous rassure, tout en nous tuant un peu tous les jours.
J'aimerais être ce déclic, cette rencontre qui change la vie (quand je vous dit que je manque de modestie). Mais combien de séparations, combien de renoncements, seront encore nécessaires à G. ? Je n'en sais rien. Et je crains parfois, quand la confiance me manque, qu'il ne bougera jamais, qu'il mourra dans la peau d'un autre, dans la peau du bon fils et du bon mari.



Je suis sur le départ, plus tout à fait ici, pas encore là-bas. Dans cet entre-deux, il me reste à apprendre à finir.
C'est d'ailleurs un peu mon message à G., qui vit la vie d'un autre, et peut-être aussi à A., qui lui vit son personnage : il faut apprendre à finir. Parce que martyr, c'est pourrir un peu (2).


(1) Edmond Hauraucourt 
(2) Jacques Prévert

2 commentaires:

  1. Pour imaginer le changement il faut d'abord apprivoiser ses peurs, les hommes comme les femmes ont besoin de passer par cette étape.

    E peut te dire que tu l'as grandement aidé à travailler ses peurs. C'est un travail de longue haleine, j'imaginais un parcours de six mois, je sais maintenant qu'il dure environ cinq ans. Au bout de trois ans je commence à enlever mes lunettes déformantes et à devenir moi meme. Dans qq année le collier sera peut être détaché et les poils pourront pousser autour du cou du chien.
    E te remercie pour le déclic, certe douloureux, que tu as déclenché en lui il y a trois ans.

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    1. Tu aimes toujours autant les chiffres et les décomptes, E.
      Dans un premier temps, j'ai eu envie de te dire que moi je ne te remerciais pas, et puis non. Pour moi aussi tu as été un sacré déclic. Mais tes tarifs sont drôlement élevés lol

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