mercredi 16 janvier 2013

Texte d'atelier : dialogue intérieur

La consigne du jour : après la lecture du début d'une nouvelle de Renaud Ambite intitulée Radio-roulette (un pauvre type est coincé sur le siège du dentiste), il s'agissait d'écrire le dialogue intérieur d'un personnage "coincé" dans une situation dont il ne peut sortir.



Il s'est tu, et il me regarde. Le silence dure. Il attend que je parle, que je déballe, que je me dise. Mais j'ai la tête vide, ou trop pleine.
Je me rétrécie, je me rabougrie. Je le regarde aussi, droit dans les yeux, cherchant un motif, une accroche. En fait, je cherche une étincelle quelconque me permettant de mettre le feu à mes poudres. Ça résoudrait les choses une bonne colère, une bonne révolte contre cette ordure. Car c'est une ordure, hein, personne n'en doute. Ou peut-être un salaud en rédemption, va savoir...

Et dans son regard, justement, je ne vois rien à quoi adosser ma colère. Je ne vois qu'impatience à m'entendre et bienveillance. Me revoilà à la case départ : il faut que je parle. Bon dieu ! Je m'agite sur ma chaise, je baisse les yeux, la honte m'envahit. J'ai cinq ans ou quoi ? Merde ! Comme une gamine qu'on interroge alors qu'elle n'a pas appris sa leçon, je me ratatine encore, glissant mes mains sous mes cuisses, et je tente un sourire timide mais enjôleur (ou qui se voudrait tel). Il répond à mon sourire, avec ses dents et avec ses yeux. Mais il ne parle pas.

Que dire ? 

J'aimerais le toucher. Poser ma main sur son avant bras, sur sa main. Mais pas celle de l’alliance, l'autre. C'est laquelle déjà ? Je voudrais le toucher mais pas pour baiser, non. Ça je veux pas. Le toucher pour le sentir, pour savoir, pour me débloquer, me sortir de ma tête qui tourne à vide. Oui, le toucher pour avoir un point d'appui, pour sortir ensemble, main dans la main, de ce silence qui m'embourbe. Mais non. Il va croire que je veux baiser si je le touche. Trop con. Non.

Je vois pas comment je pourrais avoir envie de ça. Deux ans qu'on ne s'est pas vu, il y aurait tout une route à refaire, et tout un labyrinthe à déconstruire, pour avoir envie. Peut-être. Pas sûr.
Je suis au coeur de mon labyrinthe, sous le regard écrasant du Minotaure. Je suis nulle, je suis perdue, je ne trouve aucun fil à suivre pour sortir une phrase - sujet, verbe, complément - de ma bouche.

Que dire ? 

Deux ans, comment les résume-t-on ? Si, bien sûr, il s'en est passé des choses depuis. Mais quoi de vraiment intéressant ? Ce n'est que ma vie, donc rien. Des tas de trucs me passent dans la tête, mais rien ne me semble suffisamment convaincant pour briser ce silence qui dure depuis... depuis un temps infini. Et plus le temps passe, plus ce que je dirai sonnera fort. 
Ce que j'aurais pu dire au début (je ne sais pas moi, mon nouveau boulot, mon nouvel appart, la physique quantique, n'importe quoi), tout ce qui aurait pu faire l'affaire au début du silence est désormais frappé de nullité. Après un si long silence, on doit vraisemblablement faire un discours parfait, ou une saillie remarquable. Mais je vais surement finir par bégayer une connerie.
"Tu.... tu... veux que je parle ?" Voilà, elle est dite la connerie. Mais il me regarde toujours avec ses bons yeux, et son sourire.

Me lever ? Filer ? Le planter là ? C'est à peu près la seule idée qui me vient, mais ce serait vraiment trop débile. Et puis de toute façon je suis figée, comme une souris terrifiée qui fait la morte entre les pattes du matou.

Le serveur amène le vin, il en empli nos verres. Et à mon grand désespoir mélangé de soulagement, il dit enfin quelque chose. Je n'ai pas réussi à parler, à prendre la parole, quand il me laissait la place. Trop de place.
"On va pouvoir trinquer à ton anniversaire alors". Ah ! Oui ! Mon anniversaire. Cet évènement insignifiant, fêtant ma toute aussi insignifiante naissance ! Je vais bien réussir à dire un truc là dessus, non ? Oui, des mots sortent, expliquent. Mais j'ai l'aisance de l'albatros sur le pont du navire.

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