mercredi 20 février 2013

Moi et moi

Je prépare mon voyage à Prague. J'y vais seule.

Pendant longtemps, j'ai peuplé mon insupportable solitude de revenants. 

En premier lieux, je ne vivais pas sans ma mère. A tout instants, ma mère commentait ma vie, me soufflant les répliques, et ce que je devais en penser et en sentir. Je vivais sous le regard de ma mère, et quand je trouvais quelques choses de... de.... Dis moi maman, c'est comment ? Et je l'entendais me dire que c'était beau, alors je ressentais le beau. Que c'était triste, alors je ressentais le triste. Mais le plus souvent c'était très énervant pour ma mère, alors je ressentais l'énervant. Ou encore, presque aussi souvent, c'était bien honteux pour ma mère, alors je ressentais la honte.

J'ai eu beaucoup d'"amis" intérieurs, qui me voulaient plus ou moins de bien.

Les hommes que j'ai aimés ont été de ceux-là. Même en leur absence, ils étaient dans ma tête (pas tous en même temps, hein). Ils étaient bien plus confortables que ma mère, dans le genre "amis" intérieurs. Bien plus bienveillants.

Je leur parlais. Pas toujours à voix haute. En ballade, ou en train de cuisiner, ou choisissant un livre, je partageais avec eux mes surprises, mes émerveillements, mes doutes, mes peurs, mes tristesses. Ils me répondaient, me guidaient, me donnaient leur avis. J'étais à la fois moins seule, et plus seule. Parce qu'un "ami" imaginaire, il ne peut pas vous prendre la main.

Et puis, il y a autre chose. La joie, et la beauté des choses, s'en trouvent amoindries. Parce que ce que je rêvais secrètement, c'est de ne pas être seule avec tout ça. Et même en peuplant ma tête d'"amis" intérieurs je savais bien que j'étais seule.
En revanche, la peine, le tristesse, avait quelque chose d'insondable. Doublée par la solitude qui était elle même en écho : j'étais doublement seule : réellement, et de sentir combien mes "amis" intérieurs me manquaient. Cet homme, dont j'avais la sensation qu'il m'accompagnait partout, il n'existait tant, il était à ce point envahissant, que parce qu'il était absent.

Je n'avais plus l'age de croire complètement à un ami imaginaire.

E. m'a ainsi accompagné, en passager clandestin, et à l'insu de son plein gré, à Florence, il y a 3 ans. A vrai dire, à l'époque, il était partout avec moi, jusque sous les corps de mes nombreux amants de fortune.

Depuis, je ne suis pas repartie en voyage.

Ma mère m'a quittée. Un jour, j'ai réalisé qu'elle n'était plus dans ma tête, ou alors beaucoup plus rarement. La séparation a été vraiment consommée quand je lui ai envoyé ma lettre de rupture, il y a presque un an.
La honte envahissante m'a quittée en même temps. De même que la colère perpétuelle de ma mère. Ma mère est une femme en colère.

Je l'entends parfois encore, en de rares occasions, et alors mon sentiment de gêne est immense. 
Le souvenir récent le plus cuisant date du vendredi où j'ai bu un verre avec E. Je parlais de ma mère, et j'avais ses intonations, ses mimiques. Je la sentais en moi.  E. m'a fait remarquer mon index pointé, le doigt accusateur, le doigt de ma mère. Je n'ai ce geste que lorsque je suis elle. Et E. le sait.
Mais j'ai aussi été ma soeur. J'ai parlé d'elle, et j'entendais sa voix à la place de la mienne. J'avais son petit tic, avec la bouche, pour cacher ses dents. 
Toute mon attention était tendue vers le but de me dire moi, même avec leurs voix à elles. Ne pas m'oublier derrière ces envahisseurs.

Se débarrasser de ses "amis" intérieurs, c'est bien, c'est bon, ça libère la vie. Mais il y a encore mieux.

Cette après-midi, je suis sortie de la BNF au coucher du soleil. Entre les quatre tours gigantesques, sur le parvis de bois, j'ai été arrêté par une image superbe. Dans une clarté hivernale, à la fois froide et brillante, les tours de la BNF, le mk2 entre les deux, quelques bâtiments d'habitation tout aussi modernes, et, pointant gaillardement au milieu de tout celà, illuminé par la lueur du couchant, un clocher ; une église en pierre de taille, quelque chose d'ancien, d'à la fois incongru et essentiel au milieu de toute cette modernité, et qui se découpait sur le disque éblouissant du soleil.

Alors, j'ai ressenti la beauté fragile de cet instant. J'étais seule, et pourtant... A l'intérieur de moi, il y avait quelqu'un, quelqu'un à qui j'ai dit : "regarde ca !" et qui m'a répondu : "Arrête toi et profite !" Il y avait quelqu'un en moi, qui se réjouissait avec moi. Et ma joie alimentait la sienne en retour. C'était comme un jeu de ping-pong, qui nous faisait un bien fou à toutes les deux, qui multipliait ma joie, mon bonheur d'être en vie, d'être là, devant ce spectacle. 

J'étais seule avec moi-même. Et j'ai compris que j'étais en moi depuis un moment déjà, sans que je m'en sois vraiment rendu compte. Peut-être que j'avais pris la place de mes "amis" au fur et à mesure de leur disparition. J'avais pris ma place en moi.

La solitude n'est pas le vide.

Je sais qu'à Prague, je n'y serai pas seule. Je n'y serai pas avec des "amis" imaginaires, me gâtant mes joies et accroissant mes tristesses et ma solitude. J'y serai avec moi. Et je suis prête à me faire voir de belles choses.








2 commentaires:

  1. ;-) C'est bien ce que j'ai ressenti lors de mon escapade parisienne de janvier: "j'étais seule avec MOI-même"...!
    Non, ce n'était pas "le vide"... au contraire! Et qu'est-ce que c'est bon de s'en rendre compte!

    Bons préparatifs avec toi-même!
    et belles découvertes!!!

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  2. Bonsoir Marionde,

    Que j aime lire cela !

    Beaucoup de choses sont simples et belles, encore faut il prendre le temps de regarder, c est bon de savoir se recentre sur soi, ca aide avec les autres ensuite (je pense)!
    Profite pleinement de ton sejour Marionde

    Amicalement
    A. anne





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