samedi 13 avril 2013

Monsieur Psy, le dragon et l'arbre

Il est bon mon psy. Il faut dire aussi qu'il a une patiente qui a à cœur qu'il réussisse. 

La séance dernière, j'ai commencé par le remercier pour la séance précédente. Il avait débloqué ce qui commençait sérieusement à ressembler à une phobie scolaire. J'allais à l'école la peur au ventre, avec la sensation d'aller à la catastrophe quoiqu'il arrive. Je ne dormais plus. Que je réussisse ou que j'échoue, les deux options me paniquaient tout autant. 
Sa façon de poser le problème, de tracer la carte de mon territoire et de m'indiquer les chemins de traverse, de me montrer combien le dragon était redoutable et donc combien j'étais courageuse, m'avait souverainement aidé. 

Je n'en espérais pas autant concernant mon autre problème, que je lui exposais. Je me sentais déraper dans un mécanisme d'attente redoutable. Je projetais des choses et des machins, sur lesquels je n'avais aucune prise. Je m'en voulais de retourner dans cette ornière. Je me sentais hors ma vie, obsédé par la vie d'un autre, par les choix d'un autre.

Monsieur psy m'a parlé des arbres qui poussent tout tordus, parce qu'il grandissent en s'adaptant à des milieux hostiles. Ils ont peu de place pour se développer, se heurtent à d'autres arbres, bien plus gigantesques qu'eux, bien plus forts. Alors il se tortillent pour grandir quand même. Les accidents marquent l'arbre et son écorce garde de drôles de déformations, parfois difficile à interpréter, parfois pittoresques, parfois angoissantes. Mais il y a quelques chose de bien plus important dans l'arbre, quelque chose qui circule, qui vit : la sève. La sève, c'est ce qui permet à l'arbre, en dépit de ses déformations, d'aller chercher la lumière tout là haut, et de partir à l’assaut du ciel. 

Alors j'ai compris. Je pouvais quitter mes déformations, arrêter de m'obnubiler sur les terrifiants arbres voisins. Mes contorsions pour faire coïncider mes rêves, mes désirs, avec la vie de quelqu'un d'autre ne devait pas retenir mon attention. Je devais laisser mon tronc et mon écorce vivre leur étrange vie d'arbre tordu, et me concentrer sur ma sève qui ferait naître de jeunes pousses qui monteraient jusqu'au ciel, qui me rendraient grande et belle.

Mais "ma sève", qu'elle était-elle ? Qu'est-ce qui me faisait vivre, sourire, qu'est-ce qui m'apportait joie ou fierté, quoi que décide Pierre, Paul ou Jacques ? Car ce qui était moi, ce qui était ma sève, ne pouvait pas être l'autre, dépendre de l'autre, puisqu'elle lui préexistait. 

Je me suis souvenu de la joie simple que je ressens souvent en regardant les gens. Je collecte les petits signes qui me rapprochent d'eux, qui me font me sentir appartenir à la communauté humaine, mais aussi tous les petits signes qui me les montrent si étranges, si différents, si singuliers. Et c'est de cette confrontation du même et de l'autre que nait l'émotion, et l'amour de l'autre.

Je me suis souvenu de la joie simple que je ressens à la vue des oiseaux sur le canal, des chiens qui jouent et se coursent sur l'esplanade. Je sens alors l'envie de nager avec les canard, j'imite (aussi discrètement que possible) le cormoran qui se hausse du col pour, dirait-on, regarder dans l'eau d'un meilleur point de vue et, tout à coup, plonger la tête vers une proie. Et je ris du chien qui me fonce dessus, la langue pendante, et si je ne me retenais pas, je me roulerais bien par terre avec lui.

Je me suis promis de penser plus souvent à mon manuscrit pris chez un éditeur, pour me rappeler qu'il y a un domaine ou j'ai un peu de talent, et où je réussi. Et pour, à force d'y penser, sentir enfin  la fierté et la joie, qui n'osaient pas poindre trop fort encore. J'ai pensé à mon deuxième roman terminé depuis plusieurs mois et qui dormait encore dans mon ordi. Au troisième qu'il me fallait avancer et que j'avais un peu laissé de coté. Car s'il est une chose qui m'a toujours fait grandir, depuis l'enfance, c'est bien l'écriture.

Je me suis occupé de tout ça. Des gens, des canards et des chiens, de mes manuscrits.

Et l'obsession n'a plus d'intérêt désormais. J'en viens, non plus a tenter de me tordre pour m'adapter à la vie de l'autre, mais à me demander comment l'autre pourrait bien trouver sa place dans la mienne. Qu'il se débrouille, moi je fais pousser mes branches vers le ciel.




7 commentaires:

  1. J'aime vraiment beaucoup cette image de l'arbre tordu... Je visualise tout à fait et m'y indentifie facilement...
    Oui, moi aussi il est temps que je fasse "pousser mes branches vers le ciel"! Que je sache réellement quelle est "ma sève"...
    C'est de circonstance avec le printemps qui arrive ;-) Bon "jardinage" à toi!
    *Kati*

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    1. Je suis ravie que ça serve à quelqu'un, cette image. Si j'écris mes articles, c'est bien pour faire part de mes "trouvailles", de mes "aventures", pour que ça serve à d'autres.
      Bon printemps à toi :)

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  2. J'utilise habituellement l'image de la pile de pièces de monnaie qui s'empilent. Chaque pièce qui représente une étape de la vie peut être déformée et avoir une incidence sur la stabilité totale de l'édifice avec l'idée que par hasard certaines peuvent venir compenser une ou plusieurs plus anciennes.
    Mais j'adore également cette métaphore sur les arbres qui donne une vision beaucoup plus orientée vers l'avenir que mon histoire de pièces qui regarde plutôt le passé.
    Tu as en effet beaucoup de talents :
    Vas y, fonce,laisse monter la sève, les feuilles vont verdir, l'arbre deviendra livre.
    Bises
    E

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    1. Merci :)
      Je dois confesser que l'image de la pile de pièces de monnaie m'aurait bien moins parlé que l'arbre. Mais ça ne t'étonnera pas je crois.
      Et effectivement, l'avenir m’intéresse bien plus désormais que les détours par le passé, bien que cela a été indispensable au préalable.
      Et toi, ton arbre, il deviendra quoi ?
      Bises

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  3. Moi aussi l'avenir m'interesse et ce n'est pas nouveau. A chaque coup dur de la vie (et même sans coup dur) je me suis projetté en imaginant toutes les hypothèses possibles pour prendre la main sur le futur. Je pense avoir su faire grandir cet arbre, le problème c'est qu'il n'a pas poussé droit et qu'a force de grandir penché, au bout d'un moment, il à failli se déraciner. Le travail sur moi que je viens d'effectuer depuis quelques années me permet de consolider les racines et détayer la structure. Il était grand temps !!!

    J'envisage pour l'avenir de continuer à consolider et à étayer la base, tout en rééquilibrant le port par des ajustements modestes et réguliers de la ramure.
    J'espère trouver mon équilibre sur cette voie.

    Bises
    E

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    1. C'est amusant tiens. Je ne pense pas qu'on prépare le futur en "imaginant toutes les hypothèses possibles". La futurologie se trompe toujours. Je crois même qu'on ne prend jamais la main sur le futur. On a la main (et encore, dans des limites assez étroites) que sur le présent.
      Je disais que c'est amusant, parce que j'ai écris un texte récemment sur ces "projections" que l'on fait dans le futur. Je n'avais pas l'intention de le publier, mais finalement, je vais le faire. Il tombe bien.

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  4. Il est bien évident qu'on n'influence pas le futur en imaginant toutes les hypothèses possibles, c'est le meilleur moyen de faire pousser l'arbre de travers comme je l'ai fait.
    C'est bien pourquoi j'essais maintenant de rééquilibrer et d'ajuster modestement le présent.

    Tout ceci pour répondre à ta question :"Et toi ton arbre il deviendra quoi ?"

    Pour finir, il ne me semble pas que les autres aient raison ou tort de penser plus au présent, au passé ou au futur. Cela relève de l'histoire et de la construction de chaque personne qui par définition est unique. Je sais quand même maintenant que le plus important c'est de vivre le présent, encore faut il en être capable...

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