dimanche 7 avril 2013

Atelier d'écriture : Lettre à la petite sirène

Lors de l'atelier d'écriture d'hier, l'animateur nous a lu un extrait de la Lettre au père de Kafka. Je vous en recommande la lecture. Sur le net on trouve aussi une lecture d'extraits de cette lettre par Christine Angot, pour ceux qui n'aime pas lire.

Notre consigne : écrire une lettre, éventuellement faite pour ne pas être envoyée.

J'ai déjà écrit (et envoyé) ma lettre "au père", "à la mère" aussi, au demeurant. J'ai choisi autre chose. 

Chère Petite Sirène,

J'aime beaucoup ton histoire. Attention, pas celle de Disney où tu parais en rouquine inepte. Non. J'aime beaucoup ta vraie histoire, celle d'Andersen.

Tu es, chère Petite Sirène, le seul personnage de conte auquel je peux m'identifier jusqu'au bout, jusqu'à la fin. J'aime bien aussi Peau d’âne, mais, malheureusement, son histoire fini bien, elle se marie avec le Prince. Toi, chère Petite Sirène, ton histoire semble mal finir, et c'est heureux. Car, lorsqu'un conte fini bien, dans les flonflons d'un mariage et les larmes de joies, je décroche. Je ne me sens pas à la hauteur d'un heureux dénouement. Je suis jetée hors du monde du conte, hors du monde tout court, et je retourne à ma solitude et mon indignité. Moi ? Épouser le prince ? Allons bon ! 

On dit que ton histoire fini mal. Effectivement, tu te transformes en écume de mer, c'est comme si tu mourrai. On fait plus gai. Mais on fait difficilement plus vrai. Tu rejoins ainsi Le Petit Prince, autre conte que j'adore, mais lui c'est un garçon, qui rencontre une rose prétentieuse et fragile, et un formidable renard. Moi, je n'ai rencontré que des princes distraits. Ni rose, ni renard.

Avant, après l'école, je m'attardais et je jouais aux billes avec Mathias. Mathias n'est pas le premier prince distrait que je rencontre, mais c'est le premier que j'ai réussi à convaincre de jouer aux billes avec moi. Mais la fille qu'il a embrassé derrière le gymnase, ce n'est pas moi, c'est cette miniature d'Agathe. J'étais recroquevillée en haut du toboggan, ce qui me permettait de les apercevoir dans l'escalier interdit au public où ils s'étaient planqués. Mes jambes pliées sous moi me faisaient mal, mes pieds s'engourdissaient. J'étais comme toi Petite Sirène, dédaignée par le prince distrait, à souffrir mille morts dans mes jambes.

Ce soir là, pas de partie de billes, ni les suivants. Maintenant, je rentre plus tôt à la maison.

Oui, Petite Sirène, nous avons des points communs. Ce prince distrait, je ne lui en ai même pas voulu. Parce que j'ai moi aussi conscience de "ne pas en être". Comme toi, je cache une sorte de queue de poisson. Et il est bien naturel que le prince distrait aime et épouse une semblable quand toi et moi ne sommes que des imposteuses.

Moi, ce n'est pas vraiment une queue de poisson, je pense. En fait, je n'en sais rien. C'est un ensemble de choses difficiles à dire, même à toi Petite Sirène. Assurément, je n'arrive pas à la cheville de la minuscule Agathe, mais de plus, je ne suis pas de la même espèce. Je suis un monstre cachée parmi les humains. Une sirène parmi les humains si tu préfères, oui, c'est plus valorisant. Mais ça ne change pas grand chose : toi et moi devons nous taire, planquer notre queue de poisson, et laisser les humains entre eux.

Le docteur cervelle dit qu'on peut changer de conte. Ca me semble curieux, et pas très moral. Je pourrais te jeter, Petite Sirène, et choisir cette sotte de Belle au bois dormant par exemple ? Non, je ne pense pas. J'aime trop ta détermination, ton courage, et la liberté que tu prends en suivant ton désir, sans te plier à ta famille et à ta condition de sirène. Alors que la Belle au bois dormant se contente de dormir, et laisse tout le boulot au prince. 

Je te laisse, Petite Sirène, et passe le bonjour à tes sœurs de l'air.



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