lundi 29 avril 2013

Changer ? Facile à dire !

Une des plaies humaines, psychologiquement parlant, c'est la répétition. Avez-vous remarqué que vous vous retrouvez systématiquement dans les mêmes situations ? Que même lorsque les personnes concernées semblent très différentes (d'ailleurs, au début, c'est souvent ce qui vous a plu, quelqu'un de si différent), vous vous réveillez quelques mois ou années plus tard dans la même impasse ? Et de vous exclamer : "ah oui ! Vraiment ! Tous des salauds" (ou toutes des vénales, ou tous des lâches, ou toutes des coureuses). Sous l'emballage qui change, toujours le même cadeau pourri.

Mon psy (ah ! Mon psy !) m'a conseillé un exercice. M'ouvrir à l'étrange, aller vers des gens" bizarres",  avec lesquels je me sentirais étrangère, et essayer de voir comment "ça" marche cette bête là.

La seule objection que j'eus, c'est que le "bizarre", ça me connait. Si je constituais une galerie de portraits des hommes de ma vie (tout ceux que je n'ai pas oublié, disons), ça nous ferait une sacrée cour des miracles ! Le bizarre, l'étrange, ça m'attirerait plutôt, avais-je envie de dire. Il s'agissait donc d'un autre "bizarre", d'une autre "étrangeté". 

La mission semble pourtant tentante, même si là, comme ça, on ne voit pas bien, ni comment reconnaître ce "bizarre" là, ni, à fortiori, où le trouver. Pourtant, le péril n'est peut-être pas là où l'on croit.

De façon totalement inattendu, et en tout cas fort peu préméditée, j'étais hier attablée dans un café chic, d'un quartier huppé, face à un monsieur et son Perrier tranche.

Ma première réaction, lorsque j'avais accepté le verre, avait été de le détester, et de me détester. J'avais prévu d'écrire, et je lâchais ma tâche pour boire un verre avec lui. Pourtant, personne ne me forçait à accepter, et le nombre de jours où j'ai décidé d'écrire sans arriver à m'y mettre atteint un chiffre désolant (je dirais deux fois sur trois). Autant dire que ce pauvre mec ne pourrait être rendu responsable d'un quelconque retard dans la confection de mon troisième roman que personne n'attend. 

Finalement, je me retrouvais confrontée à un dilemme cornélien, et très intime. J'ai envie de trouver un compagnon aimant, de recevoir de la tendresse et de l'attention mais... je m'accroche à ma vie, mon organisation, mes priorités, et j'en veux déjà à cet inconnu de me prendre du temps. Et pourquoi ça ? Parce que je le soupçonne déjà de vouloir piller ma vie, je me sens déjà colonisée, coincée, dépouillée de moi-même. 

Mais donc, j'ai bu ce verre avec cet inconnu. Qui me semblait des plus "bizarres".

La plus grande étrangeté, paradoxalement, n'étant pas qu'il soit originaire de la même ville du sud que moi (le truc de ouf !) et qu'il ait fait ses études dans la même autre ville du sud que moi (pas dans la même fac, évidemment, moi ayant usé mes jeans sur les bancs de la fac des pauvres voués à le rester -celle de lettres et sciences humaines, en périphérie de l'agglomération- lui ayant profité des cours de la fac des bourges voués à s'enrichir -celle de droit et d'économie, en centre ville). 

Non, finalement, la plus grande étrangeté, c'était moi. 

A ma grande satisfaction, le monsieur m'écoutait, s'intéressait à ce que je racontais. Je parlais de moi, et ça le passionnait. Il me posait nombre de questions qui le prouvait, faisait des liens. En replaçant mon expérience dans des questions plus larges, il me donnait de l'importance, ou me rattachait à son monde à lui. Je n'avais pas juste l'impression de parler de moi, de faire mon panégyrique. Non, c'était... comment dire... Une sorte d'échange ! Sauf qu'à un certain moment, j'ai ressenti une sorte d'inconfort. Je lui posais des questions sur lui, essayant de lui renvoyer la balle. Il répondait, mais, pourtant, j'avais la sensation désagréable de ne pas arriver à le faire assez parler. Je serais bien retournée dans mon rôle habituel, celui d'écoutante. Et, petit à petit, s'est instillé l'idée déplaisante que ce type, en parlant si peu de lui et en m'écoutant autant, cherchait à  me dérober quelque chose tout en cachant quelque chose. 

Pourtant, c'était assez faux : il parlait de lui sans réelle réticence. Ce qui me permettait au demeurant de faire de même. Si je faisais un petit condensé de ce que j'ai appris de lui en une heure trente, ça nous ferait un joli chapitre de roman, un beau portrait.

Faut-il donc se résoudre à voir dans ma manie d'écouter une défense ? Et si je reproche autant aux gens que je rencontre leur manque d'écoute, leur égocentrisme, n'est-ce pas une façon bien commode d'éviter de me poser les bonnes questions ? A savoir : qu'est-ce que je veux garder absolument pour moi et qui me semble mis en péril par l'autre ? Qu'est-ce que les murs et le pont-levis de ma personnalité veulent protéger ? Qui-a-t-il de si fragile à garder fermé à double tour ? Et question subsidiaire : en quoi l'autre est-il forcément fourbe ? Pourquoi dois-je partir à la quête de ce qu'il risquerait de me cacher en le faisant parler ? 

Mais il y a une chose à laquelle j'ai appris à me fier : mon instinct. Et si la lumière rouge s'était mise à clignoter à bon escient ? Si cet homme était réellement dangereux, et que je l'avais senti ?

Cet homme avait une autre caractéristique déroutante pour moi : il s'occupait de moi, de mon confort. Il se soucia de savoir si je n'avais ni trop froid ni trop chaud, s'assura que je sois régulièrement désaltérée, il me versa même ma boisson dans mon verre, comme aurait du le faire le garçon, vous savez, quand il vous verse moitié de la bouteille dans votre verre pour que vous ne vous donniez pas cette peine, tout en se gardant de tout verser d'un coup. Cet homme était aux petits soins pour moi. Je n'ai pas vraiment l'habitude de cela, c'est même assez souvent l'inverse. Je suis du genre à proposer d'aller chercher des cafés au comptoir au premier bâillement de mon vis à vis, à acheter le jus de fruit préféré de mon invité et un paquet de brosses à dent si je pense qu'il passera la nuit chez moi (j'oublie en général que je l'ai fait la fois précédente, ce qui me confère un stock confortable de brosse à dents de rechange). 
Je dois avouer que toutes ces attentions, alors même que mon monsieur du jour semblait des plus naturels, fini par m'alerter : trop, c'est trop, que fomentait ce type qui cherchait à m'enfumer avec ses manières trop polies pour être honnêtes ?

Et lorsqu'il m'expliqua sa passion coûteuse des antiquités, qui lui avait valu son divorce, sa femme comprenant mal comment des sommes conséquentes pouvaient passer en médiévaleries, les conduisant à manquer d'argent pour boucler le mois, quand il ajouta à cela, à cette dilapidation, l'exposé de son coup de poker professionnel, je fus... comment dire... Partagée, déstabilisée, interrogée sur mes motivations et mes à priori.

L'argent semblait un peu un jeu pour lui. Ca va, ca vient, rien de bien méchant. Et mon premier réflexe fût de le trouver bien léger, bien inconséquent. L'argent, c'est connu, ne pousse pas sur les arbres. Avoir vu les huissiers débouler au domicile maternel, avoir vécu avec le rmi, avoir été interdit bancaire, ne m'aide pas à trouver les questions d'argent légères ! C'est même un boulet pour moi. Je n'aime pas m'en occuper, devoir demander un délai aux impôts m'empêche de dormir, et le chiffre de mon découvert me donne des bouffées d'angoisse. Alors ce petit monsieur qui se ruine en salle des ventes, bah... C'était peut-être un escroc, non ? Pour trouver que l'argent, c'est si facile, il faut le voler, non ?

Je ne pu alors pas m'empêcher de penser à E., dont le matérialisme et la propension à accumuler, à laisser l'argent et le matériel guider sa vie, m'a parfois désespéré. Finalement, je suis plus proche de lui que de ce H. (le monsieur d'hier, s'appelle H.). Et le violent mépris que j'ai parfois ressenti pour le matérialisme de E. n'est qu'une façon différente de gérer le même mal : la peur de manquer. Lui thésaurise à perte de vie, moi je m'obstine à ne pas donner de valeur à l'accumulation parce qu'elle m'est inaccessible (une variante de "pauvre mais propre"). C'est la fameuse fable des raisins trop verts.

D'un autre coté, je trouvais que la façon de vivre de H. ne manquait pas de panache, de romanesque, et qu'il avait bien raison de s'offrir ce dont il avait envie lorsqu'il le pouvait. J'enviais sa désinvolture, tout en ne perdant pas de vue qu'il était peut-être facile d'être désinvolte avec l'argent quand on habitait le 7eme arrondissement, qu'on avait une demeure 17eme en Normandie et une paire de pompes aux pieds qui devait bien valoir 2000 euros.

Hier je me suis donc confrontée à quelqu'un de différent, une bizarrerie. Est-ce un "bizarre" habituel (et donc, après des débuts semblants bien différents, vais-je me retrouver comme d'habitude utilisée puis jetée comme une crotte, pour faire court), ou est-ce un "bizarre" selon mon psy ? Mystère. Mais en attendant, je me suis colletée avec des questions dérangeantes et surtout à ma peur de l'autre, cet autre toujours suspect de vouloir m'envahir, m'utiliser, me rouler, m'abuser. Car, au final, il s'agit bien de cela, de ma méfiance, de ma trouille, qui me conduit dans le mur assez régulièrement.  Mon plus grand défi n'est peut-être pas de trouver l'autre mais de dompter ma peur.




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