lundi 16 avril 2012

Attends, j'ai un double appel !


Vous connaissez bien ce sentiment de frustration, n'est-ce pas ? Lorsque votre correspondant vous met en attente pour prendre un autre appel. Vous avez cru pouvoir dire, pouvoir être entendu, mais non, il faut attendre, une autre appel est plus urgent. Et puis, peu à peu, l'agacement et la gène augmentent : et si on vous avait oublié ? Si vous attendiez là, suspendu au bout du fil pour rien, juste pour être abandonné comme une merde ?

E. est maître dans cet art de la mise en attente. Vous me direz, il suffit de raccrocher.



Quand j'ai reçu son mail hier soir, après deux jours d'attente, ce fût pour lire l'éternelle litanie. Il m'expliquait toujours pourquoi nous ne pouvions pas encore nous voir. Je ne lui parlais plus de ce rendez-vous, moi. Rendez-vous qu'il m'avait demandé, que je lui avais octroyé, et qu'il me faisait désormais miroiter derrière toute une série d'impossibilités toutes plus grotesques les unes que les autres. Mais lui, invariablement, n'avait que ça sous le clavier. Quid de ma joie de venir vivre à Paris, par exemple ? Rien à battre.

La première des « évidences » pour lui était qu'il devait « en » parler à bobonne. Voilà, après 20 ans de bonne et déloyale infidélité, il devait expressément exposé à madame les tenants et aboutissants de tout cela, pour qu'elle comprenne dans le détail comment c'était d'une logique aveuglante au regard de son histoire (à lui), et de son enfance si douloureuse (à lui). Et comment elle avait joué son parfait rôle de cocue, s'intégrant merveilleusement dans son scénario (à lui). Sans toute cette transparence devenue indispensable, impossible de partager un café avec moi. Le café le plus cher de l'histoire !

La deuxième des « évidences », à laquelle j'ai donc eu droit hier, c'est qu'il y avait toute une série de questions auxquelles il devait d'abord répondre dans le cabinet de son thérapeute, dont : « quelles sont les motivations de Marionde ? » et « Marionde a-t-elle quelqu'un dans sa vie ? » E. pense suffisamment à la place des autres pour imaginer percer ces mystère en son âme et conscience, juste en observant de loin (dans le temps et l'espace) le rat de laboratoire que je suis. Un rat de laboratoire parle-t-il ? Répond-il à un questionnement sur ses motivations et sa vie affective ? Ah ! Bah non, hein.

Il était vraiment temps pour moi de raccrocher. La ratte en a sa claque, prend son baluchon, file un coup de tatane dans la porte de sa cage et file (en pétant à la gueule du laborantin, j'ten foutrais !).

J'ai donc rappelé à l'ignoble l'auguste personnage que ce putain de rendez-vous qui pue c'est lui qui l'avait quémandé, que c'était lui qui m'avait demandé mes disponibilités, et que moi, et bien j'en avait un peu rien à battre je pouvais m'en passer, attendu que j'avais obtenu (et bordel de merde, c'était au forceps) ce pour quoi je l'avais relancé : des excuses et la paix dont j'avais besoin pour venir vivre à Paris, à quelques kilomètres de lui, avec le risque permanent de lui tomber dessus. Et que même j'avais intérêt à tirer mes marrons du feu et mon cul de la bassine vite fait avant de remettre une tournée de guerre et de haine. Que y avait pas loin. Je le sentais à mon agacement grandissant. En conclusion, s'il voulait en rester là, ça m'allait bien, j'avais ma dose ce pour quoi j'étais venue, merci.


La réponse ne s'est pas faite attendre (pour une fois !). Ma qué ! Je crois que deux heures plus tard j'avais son mail ! Il fallait que je comprenne combien j'étais en lien avec son scénario, combien il avait besoin de démêler tout ça, le pauvre, et merci d'accepter d'en rester là. 
Bon, pas un mot pour moi, pour la personne unique que je suis, pour mes bons et loyaux services de manipulée pendant 3 ans, ni pour me dire adieu. Lui, lui, lui, toujours lui. Son scénario, sa psychothérapie, et le rôle de pièce de puzzle que je joue, au coté de sa femme, dans SON histoire, SON scénario, SA vie. 

Alors écoute ca, E.: la pièce de puzzle te dit merde ! La ratte te dit qu'elle est fière d'avoir profité bien plus que toi de ses 30 mois de psychothérapie, qu'elle est fière d'être qui elle est, et qu'heureusement qu'elle a travaillé sur la honte dans le cabinet de sa psy parce que sinon elle en crèverait d'avoir épongé ta queue et tes minables manœuvres pendant tant de temps.

Hi, hi, hi.... Voilà, ca fait du bien !

En lisant son mail, je n'ai pas échappé à une petite blessure d'amour propre. Monsieur pouvait donc se passer de moi si facilement ? Arg ! Mais c'était de bonne guerre, je venais de lui faire la même en plus grand.

J'ai ressenti aussi quelque chose proche du soulagement. C'était la porte de la cage qui s'ouvrait, avec derrière le soleil, et de multiples chemins sentant bon la nouveauté et l'air frais.

Mais j'ai aussi senti comme un vide. Un moment de panique. La peur de l'inconnu ? Non, pire que ça. La peur de ne pas trouver mieux. La peur de ne même pas mériter un autre laborantin pervers. Dans mon jeu de ratte, je pouvais me battre pour exister dans la vie de E., me battre désespérément pour ne plus être une utilité, je pouvais croire que dans cette lutte, et dans les soins sporadiques et peu délicats de mon laborantin, j'existais quand même. Je lâchais un combat épuisant et humiliant avec cette interrogation terrifiante : est-ce que je méritais d'exister pour autre chose, pour quelqu'un d'autre ?

Et s'il n'y avait plus jamais personne au bout du fil ?

6 commentaires:

  1. Très émouvant! :)
    Ava

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    1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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    2. Émouvant, je ne sais pas si j'aurais choisi ce terme.... Mais merci :)

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  2. Quelle tâche! Je me suis trompée d'article! c'était pour la deuxième partie du sauna avec G.! M'enfin, au moins tu vois que je lis TOUT! ;) Ava

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  3. He oui le pauvre E venait juste de perdre sa mère 3 semaines avant !!!
    Les trois ans de thérapie qu'il a suivi lui ont permis de comprendre que cette proposition de café ne se limitait pas seulement à ce délicieux breuvage qu'il envisageait de partager avec Marionde. Il se jouait pour lui une autre histoire, il avait envie de revoir Marionde avec l'idée bien planquée de se jeter à nouveau dans ses bras et de revenir à la case départ. Alors non il n'a pas cédé, il n'était pas libre et il devait avoir un comportement d'adulte en assumant sa situation d'homme marié. Les trois ans de thérapies lui ont également servi à ça.
    Bises
    E

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