Vous connaissez bien ce sentiment de
frustration, n'est-ce pas ? Lorsque votre correspondant vous met en
attente pour prendre un autre appel. Vous avez cru pouvoir dire,
pouvoir être entendu, mais non, il faut attendre, une autre appel
est plus urgent. Et puis, peu à peu, l'agacement et la gène
augmentent : et si on vous avait oublié ? Si vous attendiez là,
suspendu au bout du fil pour rien, juste pour être abandonné comme
une merde ?
E. est maître dans cet art de la mise
en attente. Vous me direz, il suffit de raccrocher.
Quand j'ai reçu son mail hier soir,
après deux jours d'attente, ce fût pour lire l'éternelle litanie. Il
m'expliquait toujours pourquoi nous ne pouvions pas encore nous voir.
Je ne lui parlais plus de ce rendez-vous, moi. Rendez-vous qu'il
m'avait demandé, que je lui avais octroyé, et qu'il me faisait
désormais miroiter derrière toute une série d'impossibilités
toutes plus grotesques les unes que les autres. Mais lui,
invariablement, n'avait que ça sous le clavier. Quid de ma joie de
venir vivre à Paris, par exemple ? Rien à battre.
La première des « évidences »
pour lui était qu'il devait « en » parler à bobonne.
Voilà, après 20 ans de bonne et déloyale infidélité, il devait
expressément exposé à madame les tenants et aboutissants de tout
cela, pour qu'elle comprenne dans le détail comment c'était d'une
logique aveuglante au regard de son histoire (à lui), et de son
enfance si douloureuse (à lui). Et comment elle avait joué son
parfait rôle de cocue, s'intégrant merveilleusement dans son
scénario (à lui). Sans toute cette transparence devenue
indispensable, impossible de partager un café avec moi. Le café le
plus cher de l'histoire !
La deuxième des « évidences »,
à laquelle j'ai donc eu droit hier, c'est qu'il y avait toute une
série de questions auxquelles il devait d'abord répondre dans le
cabinet de son thérapeute, dont : « quelles sont les
motivations de Marionde ? » et « Marionde a-t-elle
quelqu'un dans sa vie ? » E. pense suffisamment à la place
des autres pour imaginer percer ces mystère en son âme et
conscience, juste en observant de loin (dans le temps et l'espace) le
rat de laboratoire que je suis. Un rat de laboratoire parle-t-il ?
Répond-il à un questionnement sur ses motivations et sa vie
affective ? Ah ! Bah non, hein.
Il était vraiment temps pour moi de
raccrocher. La ratte en a sa claque, prend son baluchon, file un coup
de tatane dans la porte de sa cage et file (en pétant à la gueule
du laborantin, j'ten foutrais !).
J'ai donc rappelé à l'ignoble
l'auguste personnage que ce putain de rendez-vous qui pue c'est lui
qui l'avait quémandé, que c'était lui qui m'avait demandé mes
disponibilités, et que moi, et bien j'en avait un peu rien à battre
je pouvais m'en passer, attendu que j'avais obtenu (et bordel de
merde, c'était au forceps) ce pour quoi je l'avais relancé : des
excuses et la paix dont j'avais besoin pour venir vivre à Paris, à
quelques kilomètres de lui, avec le risque permanent de lui tomber
dessus. Et que même j'avais intérêt à tirer mes marrons du feu et
mon cul de la bassine vite fait avant de remettre une tournée de
guerre et de haine. Que y avait pas loin. Je le sentais à mon
agacement grandissant. En conclusion, s'il voulait en rester là, ça
m'allait bien, j'avais ma dose ce pour quoi j'étais venue, merci.
La réponse ne s'est pas faite attendre
(pour une fois !). Ma qué ! Je crois que deux heures plus tard
j'avais son mail ! Il fallait que je comprenne combien j'étais en
lien avec son scénario, combien il avait besoin de démêler tout
ça, le pauvre, et merci d'accepter d'en rester là.
Bon, pas un mot pour moi,
pour la personne unique que je suis, pour mes bons et loyaux services
de manipulée pendant 3 ans, ni pour me dire adieu. Lui, lui, lui,
toujours lui. Son scénario, sa psychothérapie, et le rôle de pièce
de puzzle que je joue, au coté de sa femme, dans SON histoire, SON
scénario, SA vie.
Alors écoute ca, E.: la pièce de puzzle te dit
merde ! La ratte te dit qu'elle est fière d'avoir profité bien plus
que toi de ses 30 mois de psychothérapie, qu'elle est fière d'être
qui elle est, et qu'heureusement qu'elle a travaillé sur la honte
dans le cabinet de sa psy parce que sinon elle en crèverait d'avoir
épongé ta queue et tes minables manœuvres pendant tant de temps.
Hi, hi, hi.... Voilà, ca fait du bien !
En lisant son mail, je n'ai pas échappé
à une petite blessure d'amour propre. Monsieur pouvait donc se
passer de moi si facilement ? Arg ! Mais c'était de bonne guerre, je
venais de lui faire la même en plus grand.
J'ai ressenti aussi quelque chose
proche du soulagement. C'était la porte de la cage qui s'ouvrait,
avec derrière le soleil, et de multiples chemins sentant bon la
nouveauté et l'air frais.
Mais j'ai aussi senti comme un vide. Un
moment de panique. La peur de l'inconnu ? Non, pire que ça. La peur
de ne pas trouver mieux. La peur de ne même pas mériter un autre
laborantin pervers. Dans mon jeu de ratte, je pouvais me battre pour
exister dans la vie de E., me battre désespérément pour ne plus
être une utilité, je pouvais croire que dans cette lutte, et dans
les soins sporadiques et peu délicats de mon laborantin, j'existais
quand même. Je lâchais un combat épuisant et humiliant avec cette
interrogation terrifiante : est-ce que je méritais d'exister pour
autre chose, pour quelqu'un d'autre ?
Et s'il n'y avait plus jamais personne au bout du fil ?
Et s'il n'y avait plus jamais personne au bout du fil ?
Très émouvant! :)
RépondreSupprimerAva
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SupprimerÉmouvant, je ne sais pas si j'aurais choisi ce terme.... Mais merci :)
SupprimerQuelle tâche! Je me suis trompée d'article! c'était pour la deuxième partie du sauna avec G.! M'enfin, au moins tu vois que je lis TOUT! ;) Ava
RépondreSupprimerAh oui, je comprends mieux ! lol
SupprimerHe oui le pauvre E venait juste de perdre sa mère 3 semaines avant !!!
RépondreSupprimerLes trois ans de thérapie qu'il a suivi lui ont permis de comprendre que cette proposition de café ne se limitait pas seulement à ce délicieux breuvage qu'il envisageait de partager avec Marionde. Il se jouait pour lui une autre histoire, il avait envie de revoir Marionde avec l'idée bien planquée de se jeter à nouveau dans ses bras et de revenir à la case départ. Alors non il n'a pas cédé, il n'était pas libre et il devait avoir un comportement d'adulte en assumant sa situation d'homme marié. Les trois ans de thérapies lui ont également servi à ça.
Bises
E